Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la troisième Journée d’Étude de Paradoxes, 16 octobre 2004
Stéphane Keller, psychiatre et thérapeute et Jean-Curt Keller, thérapeute

Résumé : Une consultation hospitalière de psychotraumatologie est le support d’une recherche relative à l’application du modèle de Palo Alto. Trois thérapeutes prennent appui sur un dispositif vidéo et analysent les enregistrements.
Le PTSD y est examiné
d’un point de vue logico-interactionnel. L’état de stupeur, constitutif du traumatisme, paraît dirigé vers le seul but de contenir le flux émotionnel. En raison des efforts déployés, les problèmes qui s’y entretiennent semblent particulièrement résolubles par la thérapie de Palo Alto. Hypothèses de travail : le “symptôme d’évitement” (DSM IV) est un type de tentative de solution ; les “symptômes neurovégétatifs” sont ce contre quoi un autre type de tentatives de solution est mis en place.

Les procédures mises au point, adaptées à différentes formes sous lesquelles se manifestent les problèmes après le traumatisme, donnent des résultats satisfaisants. L’expérience du debriefing a guidé la recherche vers la structuration de la première phase de la thérapie et la forme des premières tâches. Ces moyens thérapeutiques ont valeur de repères généraux mais précis.

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« Plus le créateur théorise ses méthodes et plus, paradoxalement, il accroît sa liberté », Bruter

Depuis février 2003, une consultation de psychotraumatologie, ouverte à l’hôpital de Mont-St-Martin, Meurthe-et-Moselle, est le support d’une recherche relative à l’application de la thérapie brève, systémique et stratégique aux psychotraumatismes.

La consultation de psychotraumatologie

L’équipe

L’équipe qui anime cette consultation comprend : Guénaëlle ROPARS, cadre infirmier de secteur psychiatrique, psychothérapeute, Jean-Curt KELLER, doctorant-chercheur en sciences humaines, psychothérapeute et Stéphane KELLER, psychiatre hospitalier, psychothérapeute, médecin référent de la Cellule d’Urgence Médico-Psychologique de Meurthe-et-Moselle Nord.
Elle travaille en intervision avec une équipe plus large de psychiatres, psychologues et thérapeutes qui sont informés périodiquement de l’avancement des travaux.

À qui s’adresse cette consultation?
Cette consultation s’adresse aux adultes et aux adolescents de plus de 16 ans du 9° secteur de psychiatrie de Meurthe-et-Moselle qui se trouvent en difficulté ou en souffrance après avoir vécu un événement particulièrement éprouvant sur le plan psychologique
Ni la nature de l’événement, ni sa date de survenue, ni la symptomatologie présentée ne sont des facteurs de sélection. Il peut s’agir en effet d’événements très divers ( accident de la route, hold-up, agression physique, sexuelle, etc.) récents ou anciens pour lesquels les réactions cliniques prennent les formes les plus variées allant de la simple réaction aiguë de stress à l’ancienne névrose traumatique qui correspond aujourd’hui au Post Traumatic Stress Disorder du DSM IV et à l’Etat de Stress Post-Traumatique de la CIM 10.

Nos objectifs
Répondre tout d’abord à une forte demande de la population, des médecins traitants et des travailleurs sociaux du secteur, d’une prise en charge spécialisée des traumatismes psychiques.
Créer un groupe de travail permettant :
– une réflexion sur les psychotraumatismes (esquisser un point de vue logico-interactionnel des états de stress post-traumatiques);
– la mise au point de méthodes thérapeutiques spécifiques pouvant s’appliquer dans des situations de crise ( accueil de victimes d’agression physique ou sexuelle aux urgences de l’hôpital ou à la maternité, interventions CUMP )et dans le cadre de consultations à visée psychothérapique.

Les modalités de fonctionnement
Les consultations se déroulent au Centre Médico-Psychologique de Mont-St-Martin (54) à raison d’une demi-journée par semaine.

Le dispositif des séances est inspiré de celui adopté par le Brief Therapy Center, au MRI, dès 1967. Les séances, conduites par le thérapeute, sont filmées et supervisées d’un bureau voisin par les deux co-thérapeutes. Les patients bénéficient de séances d’environ 1 heure. La périodicité, selon l’évolution des cas, est de 2 semaines ou plus.

Contrairement aux habitudes d’autres centres de Thérapie Brève, les co-thérapeutes sont ici présentés au patient dès le début de la thérapie. L’accord écrit des patients est systématiquement demandé pour l’enregistrement des séances et leur utilisation à des fins de recherche.

L’évaluation de notre travail
Sur un plan thérapeutique, et cela n’a rien d’original, notre unique critère d’évaluation est la parole du patient et son regard à la fois sur le problème et sur la thérapie.
Cependant, dans le cadre de notre recherche, nous demandons aux patients de remplir trois grilles d’évaluation (en début de thérapie, en fin de thérapie et deux contrôles à 4 et 12 mois ):

– Le questionnaire sur les expériences de dissociation péri-traumatique (QEDP)
Il permet de mesurer l’état dissociatif au moment de la survenue de l’événement traumatique. La dissociation psychique, en effet, est l’un des meilleurs indicateurs de stress aigu et serait un facteur favorisant l’état de stress post-traumatique.
– L’échelle de Retentissement Fonctionnel et Socio-affectif ( RFS )
– Le Clinician Administred PTSD Scale ( CAPS )

Le CAPS mesure la fréquence et l’intensité de chaque symptôme en utilisant des questions standards. Il permet d’évaluer la présence actuelle de l’état de stress post-traumatique en suivant rigoureusement les critères diagnostiques du PTSD tels que définis par le DSM-IV.

Un premier bilan
Un premier bilan après 18 mois de consultation (soit 56 demi-journées) retrouve une file active de 54 patients, soit pratiquement un nouveau patient par demi-journée de consultation.
Les traumatismes évoqués sont pour plus de la moitié des accidents de la circulation et des agressions physiques. Viennent ensuite des deuils, des agressions sexuelles, des accidents domestiques et des accidents au cours d’une grossesse.
Parmi les 54 patients, 6 sont encore en thérapie et 48 ont terminé.

Parmi ces derniers, nous distinguons : les patients qui ont mis fin à la thérapie en accord avec nous, soit 30 personnes (62%).
Parmi celles-ci :
– groupe A : 24 patients (50%) étaient améliorés.
– groupe B : 6 patients (12%) ne l’étaient pas.
– les patients que nous avons perdus de vue, soit 18 personnes (38%). Parmi celles-ci :
– groupe C : 9 patients (19%) étaient améliorés.
– groupe D : 9 patients 19%) ne l’étaient pas.
Au total, 69% de patients étaient améliorés (durée moyenne des thérapies : 2,5 séances).

La séance initiale
Antichambre de la thérapie ou comment refuser la thérapie
La première séance est toujours importante tant pour le patient que pour le thérapeute. C’est en effet là que se noue la relation thérapeutique, que l’information recueillie est la plus riche et que nos interventions ont souvent plus d’écho auprès d’un patient encore client à ce moment de la thérapie.

Pour le patient
La première séance est pour le patient l’occasion de raconter ce qui lui est arrivé et ce qu’il vit désormais à un interlocuteur compréhensif qui ne porte aucun jugement de valeur et s’emploie par ses interventions à ouvrir des voies.

– Ce qui lui est arrivé : le patient est invité à revivre et à verbaliser l’événement d’une façon précise, en s’attachant à la fois aux faits et aux émotions ressenties alors, à la façon d’un débriefing psychologique. Mettre des mots sur ce qu’il a vécu lui permettra de prendre du recul par rapport à l’événement, de se l’approprier et de commencer à mettre du sens où il n’y en avait pas. Cette expérience, parfois cathartique du point de vue psychanalytique, est surtout, au plan interactionnel, l’occasion d’engager la relation thérapeutique et de confronter le patient à sa peur à la manière d’une prescription de symptôme.
– Ce qu’il vit désormais : Le patient a l’occasion d’exposer ses problèmes actuels, ses attentes éventuelles par rapport à la thérapie. Il commence à se projeter dans l’avenir et entrevoit la possibilité de récupérer son autonomie.

Pour le thérapeute
Si nous voulons poser un cadre thérapeutique et commencer de construire avec le patient une autre réalité, écouter ne suffit pas. Pour cela, la première séance est capitale.

– Poser le cadre de la thérapie : ceci n’appelle pas de commentaire particulier. Nous pouvons dire simplement que la spécificité voulue de la consultation de psychotraumatologie (présence de co-thérapeutes, utilisation de matériel vidéo, activité de recherche présentée au patient, etc.) et «la mise en scène» qui en découle tendent à nous donner une position statutaire haute et rend la position basse prise par le thérapeute au cours de l’entretien d’autant plus paradoxale et donc thérapeutique .
– Établir une relation thérapeutique de qualité : elle permet de gagner la confiance du patient et d’obtenir sa collaboration. Il est en effet important que la personne se sente soutenue, comprise et acceptée avec ses craintes, d’autant plus qu’elle est habitée en permanence par la peur de revivre un événement terrifiant ou angoissée de ne pas en contrôler les conséquences.
– Recueillir les premières informations sur le «système problématique».
– Enfin et surtout : «dépathologiser» et «décourager» le patient de faire une thérapie pour la seule raison qu’il se pense «traumatisé». Ceci est peut-être l’acte thérapeutique le plus efficient dans le cas de psychotraumatismes.

Première tâche
Elle n’est évidemment pas donnée de façon systématique mais ponctue souvent nos premières interventions parce qu’elle participe du même recadrage.

– Énoncé :
Vous avez vécu des événements très durs et vous avez été soumis à un stress important. Vous avez subi un psychotraumatisme. Vu l’importance du choc, tout ce que vous ressentez aujourd’hui de pénible et de douloureux nous apparaît comme une conséquence normale. Ce qui serait anormal et même inquiétant, serait de ne rien ressentir.
Votre vie a été bouleversée après ces événements. Pour pouvoir vous aider au mieux, nous avons besoin de connaître précisément ce qui a changé dans votre vie et qui vous pose problème aujourd’hui. C’est pourquoi nous vous invitons à en noter toutes les manifestations.
Voici ce que nous pensons de la meilleure façon de procéder.
Nous vous suggérons d’établir une première liste qu’ensuite vous partagerez en deux :
1. la liste des problèmes que vous rencontrez et que vous allez résoudre ou qui vont se résoudre avec le temps.
2. La liste des problèmes pour lesquels vous demandez notre aide.
Vous nous remettrez ces deux listes à la prochaine séance et nous les étudierons précisément ensemble.

– Commentaires :
Vous avez vécu des événements très durs et vous avez été soumis à un stress important.
Cette formule n’est ici que pour mémoire et n’est pas employée telle quelle. Dans chaque cas, le thérapeute reprend les termes que la personne emploie pour exprimer sa plainte. Il est important qu’elle considère la proposition comme reflétant sa pensée et ses sentiments, afin de renforcer chez elle le sentiment d’avoir été entendue et comprise. La qualité de la relation thérapeutique se joue ici.

Vous avez subi un psychotraumatisme.
«Psychotraumatisme» est une étiquette pratique. On met un mot sur ce qu’a vécu le patient et cela lui procure un soulagement. «Si ce que j’ai vécu est identifié, je ne suis plus dans l’inconnu, aux portes de l’inimaginable.» Remarquons que le diagnostic posé ne s’applique qu’au choc subi au cours de l’événement. Il n’est pas en contradiction avec le mouvement général de la séance où nous nous employons à recadrer la réaction au psychotraumatisme comme une réponse adaptative, non pathologique.

Vu l’importance du choc, tout ce que vous ressentez aujourd’hui de pénible et de douloureux nous apparaît comme une conséquence normale. Ce qui serait anormal et même inquiétant, serait de ne rien ressentir.
Nombre de patients qui se présentent à la consultation de psychotraumatologie disent la surprise et l’inquiétude que leur inspirent leurs troubles : «Je ne comprends pas ce que j’ai», «Moi qui était si (vaillant, actif, courageux…), je n’arrive plus à…», «Je suis saisi d’une peur inexplicable lorsque…». Présenter comme normaux les comportements qui les inquiètent contribue à limiter «le problème d’avoir un problème». Le recadrage paradoxal «il serait inquiétant de ne rien ressentir» va dans ce sens.

Votre vie a été bouleversée après ces événements. Pour pouvoir vous aider au mieux, nous avons besoin de connaître précisément ce qui a changé dans votre vie et qui vous pose problème aujourd’hui .C’est pourquoi nous vous invitons à en noter toutes les manifestations.
La tâche d’observation est classique en thérapie brève.
Ses résultats permettent au thérapeute de connaître la fréquence, les interactions et les conditions d’apparition du problème.
Elle a un effet de recadrage, car elle met la personne en position « méta » vis-à-vis du problème.
Elle agit comme prescription de symptôme et peut détourner au moins partiellement la personne de ses tentatives de solution et ainsi entraîner un début d’amélioration.
À ce stade de la thérapie, la tâche proposée ci-dessus n’est pas encore une tâche d’observation détaillée, Il est seulement demandé de «noter les manifestations».

Voici ce que nous pensons de la meilleure façon de procéder.
Nous vous suggérons d’établir une première liste qu’ensuite vous partagerez en deux :
1. La liste des problèmes que vous rencontrez et que vous allez résoudre ou qui vont se résoudre avec le temps.
2. La liste des problèmes pour lesquels vous demandez notre aide.

Vous nous remettrez ces deux listes à la prochaine séance et nous les étudierons précisément ensemble.
Nous visons ici deux objectifs :
Obtenir des informations utiles sur le problème et l’objectif thérapeutique.
Susciter l’optimisme. En effet, la tâche formulée ainsi sous-entend que certaines difficultés vont se résoudre d’elles-mêmes et plus encore que le patient a les ressources pour en résoudre d’autres. Enfin, il y a illusion de choix entre ces deux listes car rien ne peut ne pas se résoudre.

À ce stade de la thérapie, beaucoup reste à faire pour définir le problème et identifier les tentatives de solution. Le processus de changement est toutefois enclenché.

Éléments théoriques
Notre propos est d’examiner le stress post-traumatique comme un système problématique. Nous esquisserons pour cela des correspondances minimales entre le discours de Palo Alto et celui de la psychopathologie.

L’origine
Un événement (catastrophe, accident ou agression) produit chez une personne un choc émotionnel. Dans la plupart des cas, les effets du choc s’estompent, avec le temps.

Le psychotraumatisme
Après le choc et une période de latence plus ou moins longue, apparaît parfois un ensemble de perturbations comportementales et émotionnelles. Pour la psychopathologie, ces perturbations sont les symptômes d’un état. Par exemple, l’état de stress post-traumatique répertorié dans les troubles anxieux du DSM IV, est constitué notamment par:
– le revécu constant de l’événement,
– l’évitement persistant des stimuli associés au traumatisme avec émoussement de sa réactivité générale, efforts pour éviter tout ce qui peut éveiller le souvenir du traumatisme, (pensées, conversations, activités, lieux ou personnes), avec incapacité de s’en rappeler un aspect essentiel et avec réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes, ainsi que des sentiments de détachement d’autrui et de restriction des affects.
– des symptômes traduisant une activité neurovégétative : difficultés du sommeil, problèmes d’humeur, difficultés de concentration, hypervigilance, réaction de sursaut exagérée.

Symptômes et problème
Pour Palo Alto, il n’y a que des problèmes. Fisch, Weakland et Segal (1986) : Un problème consiste en un comportement non désiré, le plus souvent, formulé ainsi : «Je n’arrive pas à…» Pour devenir un problème, ce comportement doit se répéter. Ils distinguent (op. cit., p. 163 sq.) le type de comportement «évitement» (surmonter la crainte d’un événement en le différant) du type de comportement «contrainte» (vouloir faire quelque chose qui ne peut survenir que spontanément).

L’événement traumatisant peut avoir des conséquences catastrophiques, mais le choc ressenti ne peut en lui-même constituer le problème, puisque, dans cette hypothèse, un problème est une difficulté qui perdure. Ce problème peut prendre deux expressions:

1. La peur provoquée par l’idée que l’événement pourrait se reproduire, engendre la peur. Plus la répétition semble improbable et plus le problème sera insistant. Cette peur de la peur est à l’origine des conduites d’évitement, illustrées par l’injonction paradoxale «évite de te trouver confronté à ce qui pourrait évoquer ta peur !» ou «Essaie de te rassurer en t’efforçant de ne pas penser à ce qui pourrait provoquer ta peur!» : «Évite de penser à ce qui te fait peur!»
En développant des conduites d’évitement, la personne tente de surmonter la crainte de l’événement pour en différer l’occurrence.
2. La contrariété née des conséquences supposées de l’événement sur l’humeur, les fonctions mentales ou corporelles, et l’inquiétude résultant de l’impossibilité d’agir sur elles par la seule force de la volonté, peuvent constituer un problème. En tentant de modifier ce qui relève du fonctionnement corporel, mental ou émotionnel, donc de se contraindre, la personne espère obtenir de sa part un changement qui ne peut survenir que spontanément.
Ainsi, le problème dépend-il de la difficulté à gérer le souvenir de la peur de l’événement ou (inclusif) à gérer son impact sur les fonctions naturelles de la personne.
Nos hypothèses de travail :
– l’évitement est une tentative de solution,
– les symptômes neurovégétatifs sont ce contre quoi les tentatives de solution sont mises en place,
– le syndrome de répétition est le moteur du système problématique : l’injonction paradoxale ou cercle vicieux.

Le système problématique interactionnel
Pour Palo Alto, les personnes adoptent, dans le but de contenir l’émotion ou d’apaiser la souffrance, des comportements dictés par une injonction. Si l’apaisement attendu ne se produit pas, les comportements sont réitérés. Nous désignons cela par système problématique, introduisant «système» pour rendre compte de la dynamique du modèle, tel que l’évoque Fisch : «Persister à maintenir le comportement dont on se plaint.»

Dans le système :
– les éléments du système représentent les messages échangés ;
– l’interaction entre les éléments représente la relation entre locuteurs ;
– un sous-système peut représenter la circulation de l’information chez une personne.

À la plainte exprimée par la personne, son partenaire répond par une injonction paradoxale :
(j’ai peur <-> n’aie pas peur, je vais t’aider à ne pas y penser). Ceci constitue une première boucle interactionnelle.

À elle-même, la personne se dit «évite de penser à ta peur», puis se détourne de ce qui peut évoquer l’objet de sa peur, puis souffre de ce que «ne pense pas à cela» évoque pour elle, etc. La boucle dans le sous-système personnel est = crainte de la souffrance -> plainte -> injonction paradoxale -> tentative de solution -> plainte, etc.

Cette injonction est fonction des connaissances ou des croyances de la personne, de son discours sur les choses (Watzlawick).

Ces discours sur les choses sont cohérents avec le système de valeurs ou vision unifiée du monde de la personne (Watzlawick).

Un «quatrième niveau» où, à un niveau de conscience très faible (Bateson), s’opère le changement thérapeutique est celui des finalités.

Ainsi se trouvent très grossièrement modélisées les étapes qui conduisent un sujet à «agir», en fonction d’un «comment agir», à partir de «au nom de quoi agir».

Nous savons tous que si C est le comportement qui pose problème, arrêter de vouloir cesser C est vouloir C. Comment faire accepter cela ?

Quelques tâches
Intérêt
Formuler les tâches précisément pour obtenir un effet optimum.

Disposer d’interventions de mise en œuvre graduée, desquelles s’inspirer ou parmi lesquelles choisir les plus adaptées à la personne et au stade de la thérapie. Élargir et nuancer ainsi notre palette.

Améliorer la relation thérapeutique et la pertinence de nos interventions. Inventer, à partir de supports qui ressemblent, à l’origine, à des formules standard, de nouvelles constructions de la réalité. Assouplir notre système de pensée et trouver des solutions originales aux problèmes.

Peur de la peur : techniques progressives d’influence
Remarque : ceci est une ligne directrice, un guide très général qui est toujours discuté dans l’équipe pour s’adapter au plus près de la position de la personne, parfois abandonné pour d’autres voies, si elles sont jugées plus prometteuses.

Tâche d’observation des paniques, anxiété, angoisse, etc. (dénommées «vos peurs» dans ce qui suit)
Prendre un carnet et noter immédiatement tout ce qui se passe en remplissant scrupuleusement chaque rubrique, dans le moindre détail. Cela doit être fait sur le moment, car après ce n’est pas bon. Rapporter le carnet à la séance suivante pour examen, point par point (remise d’une liste de points précis à observer)
La prescription est souvent cadrée comme devant donner la meilleure compréhension possible de la situation et non comme une solution (nécessaire pour empêcher la personne d’essayer de mesurer les effets de la tâche pendant qu’elle l’accomplit).

Pour affaiblir la boucle interactionnelle «demande d’aide <-> n’aie pas peur».
Chaque fois qu’il y a demande d’aide, penser à ceci : “Quand je demande de l’aide et que j’en reçois, je reçois un double message : 1. « Je t’aide parce que je t’aime bien » ; 2. « Je t’aide parce que tu es malade » (Nardone 1992). Donc, quand je demande de l’aide, j’alimente mon problème.»
Ne pas essayer de vous en empêcher, car vous ne pouvez pas le faire. Simplement, pensez que chaque fois que vous demandez de l’aide, vous aggravez votre problème.

Nous félicitons les personnes pour la qualité des utiles observations rapportées et nous demandons : poursuivre les observations en concentrant l’attention sur les points particuliers suivants et en les notant précisément, jour, date et niveau sur l’échelle d’anxiété. Nature de la peur : identifier ce que vous craignez le plus, sur le moment. C’est une manière de prescrire la confrontation avec la peur.

Stade suivant : accentuer la peur. Faire encore quelques instants de peur provoquée, quand vous en avez besoin. Si vous sentez venir la peur, penser à elle de manière plus intense, pour l’éprouver plus fort.
Nous remettons de courts documents écrits : libellés de la tâche, pensées à méditer. Par exemple : «Imaginer le pire, c’est encore se protéger contre l’inimaginable.»

Quand vous sentez venir la peur, vous avez remarqué que, si vous pensez à elle plus intensément, vous parvenez à l’éprouver plus fort, puis elle diminue. Il se produit un double travail :
– une désensibilisation, car, finalement, pour ne plus avoir peur, il faut éprouver sa peur;
– une purgation (catharsis pour les usagers de la métaphore psychanalytique) : l’amas de peur accumulé lors de l’événement traumatique, a commencé à se vider.
Vous avez besoin maintenant de poursuivre ce travail de manière systématique. Pour cela, penser à vos peurs tous les jours et les provoquer délibérément pendant x minutes*, sans noter*. Prendre un réveil, régler la sonnerie sur x minutes, et pendant ces x minutes, faire délibérément apparaître les peurs. Rassembler ainsi en x minutes ce qui se manifestait spontanément dans la journée.
*x : suggérer la tâche et laisser la personne choisir elle même durée et fréquence, puis réduire la durée proposée (c’est trop vite !).
*variante : demander d’écrire peut rendre la tâche plus facile à certaines personnes qui ont moins peur en notant.
* variante : si une peur survient inopinément, lui donner rendez-vous à l’heure de x.

Répartir. Vous avez remarqué que vous étiez capable de faire apparaître vos peurs et aussi de les interrompre, lorsque le réveil sonnait. En même temps, la fréquence et l’intensité de vos peurs spontanées ont diminué. Pour poursuivre le travail, nous vous suggérons de le répartir dans la journée : donc, faire cinq fois cinq minutes de peurs provoquées (répartition négociée).

Contrôle l’incontrôlable !
Pour les autres types d’injonction, nous avons construit (emprunté/adapté) les éléments d’une palette analogue qui n’est pas présentée ici pour des raisons de format.

Un aspect de la thérapie nous semble essentiel. C’est en tous cas celui qui nous crée le plus de difficultés : discriminer les deux grands types d’injonction dans le discours des personnes, avant de décider avec elle par laquelle commencer. Voir, par exemple, si une peur de la peur ne se cache pas derrière un problème d’humeur. Mais ceci est une autre histoire …

Conclusion
Le travail de thérapie et de recherche se poursuit. Il a déjà permis de résoudre une proportion intéressante de cas et de mettre au point quelques outils et méthodes.

Un aspect important de ce travail réside dans l’effet qu’il produit sur nous en tant que thérapeutes. Notre point de vue sur notre pratique et notre manière d’être en thérapie ont évolué vers une disponibilité accrue et une attention renforcée que nous accordons à la personne.

Les problèmes posés par le psychotraumatisme sont des problèmes et ne sont que cela. Certaines manifestations pour spectaculaires ou inquiétantes qu’elles apparaissent, n’en sont que plus accessibles aux techniques paradoxales.

Stéphane Keller: skeller@ahbl.rss.fr Jean-Curt Keller: jckeller@wanadoo.fr

© S. Keller/Paradoxes, © J.-C. Keller/Paradoxes

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