Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la quatrième Journée de Rencontre de Paradoxes, 15 octobre 2005
Catherine M. Foix, dirigeante


Résumé: Le but de cette intervention est de montrer comment nous avons tiré parti du modèle de Palo Alto, à la fois en interne, pour notre fonctionnement, et dans nos pratiques, dans la manière de faire notre métier, sachant que nous n’avons pas vraiment l’occasion de l’utiliser dans toutes ses facettes.
Au cœur du travail de transformation (premier stade) :
Continuer le même métier en transformant en profondeur nos méthodes de travail.
Pour accompagner la professionnalisation de nos clients sur nos métiers, repositionner notre valeur ajoutée.
Bien sûr, nous avons commencé par faire plus de la même chose !
Diagnostic, retour sur le passé, bonnes intentions, il ne se passe rien. En bref, nous sommes confrontés à la force d’inertie.
Puis le premier déclic arrive. Les autres suivent. L’action démarre, dans le plus grand désordre. La vie naît du chaos, non?
Aujourd’hui, notre grand chantier (deuxième stade): l’apprentissage plus fin de l’application stratégique du modèle pour aller encore plus loin, avec plus encore de pertinence et de discernement.

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Mon intervention consiste en un témoignage, le mien et celui de mon équipe.

Praticiens, comment les enseignements de l’école de Palo Alto ont transformé nos pratiques, clients, comment notre fonctionnement a été modifié par les travaux que nous avons effectués sur nous à partir du langage du changement.

Introduction : pour cadrer mon propos

Je suis donc, dans cette histoire, à la fois cliente, actrice et observatrice. Je vais vous parler de l’expérience que nous avons vécue à travers ma construction, ma vision du monde. Mon propos est enrichi du retour de l’équipe.
Je vais vous parler d’une longue histoire, celle de notre transformation progressive (dans la durée), baignés par les enseignements de l’école de Palo Alto.
La lecture de Paul Watzlawick a été mon premier contact avec le langage du changement, il y a 10 ans. Il m’a passionnée.
La formation de l’IGB en 97, 98, 99 puis 15  jours au centro latino de terapia breve à Palo Alto au MRI, en 99 m’ont permis d’abord, de m’imprégner du modèle. Ensuite, j’ai organisé une formation et un accompagnement de l’équipe pour le diffuser autour de moi et faire doucement changer les choses.
L’école de Palo Alto a été l’occasion de partager et d’expérimenter une philosophie des interactions avec nos différents interlocuteurs qui nous a fait et nous fait encore, avancer. Nous la vivons de l’intérieur, nous la pratiquons, avec toutes les maladresses que cela implique, surtout quand on se l’applique aussi à soi même, ce que nous avons fait dans nos travaux sur nous mêmes.

Introduction : la découverte des points d’entrée, des croyances partagées

Les enseignements de l’école de Palo Alto sont culturellement compatibles avec ma vision du monde et celle de mon équipe et donc avec l’environnement où nous avons baigné. POURQUOI?
Teresa Garcia et JJ Wittezaele disent de l’approche de Palo Alto qu’elle relève du test projectif en ce sens que chacun y perçoit les thèmes qui le préoccupent. Nos modèles d’origine sont issus de l’approche projective (tests projectifs et dynamique de groupe).
Le MRI travaille sur l’interaction, les recherches du fondateur de notre entreprise associent l’étude de la vision du monde relationnel de chacun et celle de son interaction avec le monde extérieur.
L’énergie est tournée vers la mise en mouvement et, le constat, le diagnostic, deviennent secondaires avec Palo Alto. C’est ma propre recherche depuis toujours.
Il est important de comprendre la construction de la vision du monde des personnes, c’est notre métier depuis toujours; notre but, leur permettre d’accéder à leurs potentialités et de faire émerger leurs talents.

Les éléments déclics, pour moi, dans le modèle

La formulation de la posture : position basse dans la relation ( ce qu’il vit est sa réalité, cela en justifie, en soi, la pertinence; position haute sur le cadre, garder la maîtrise du cadre donne la liberté de manoeuvre.
Le rôle nocif des comportements habituellement rangés sous le qualificatif de « bon sens ».
La place donnée au respect du client qui est le détenteur de « la » vérité et le rôle de collaboration active qui lui est donné.
La place du symptôme considéré comme un moyen adaptatif.
Le travail, ce n’est pas la réponse, c’est le questionnement.
La double dimension des messages, rapport ou indice, explicite, ordre ou commandement, implicite.
Le modèle méthodologique :
préciser le cadre de l’intervention, définir le problème, négocier un objectif, explorer les tentatives de solution, déterminer une stratégie d’intervention en vue d’un changement.
Les différents types de changement. 1, adaptation, 2, mutation.
L’intérêt, la richesse, de différencier les niveaux logiques.

Un peu d’histoire

L’entreprise, en 1995 : de petite taille, 10 personnes, organisée autour de 2 pôles, le pôle support, 4 assistantes et le pôle production, 6 consultants dont 1 dirigeant et son bras droit.
Elle existe depuis déjà 30 ans quand commence cette histoire.
L’appartenance est forte dans cette équipe. L’affectivité joue un rôle important dans les relations. Il y a très peu de turn over.
Au démarrage, l’entreprise s’est construite autour de 2 produits principaux sur lesquels se faisait 90% du CA. Ces 2 produits sont basés sur une méthodologie établie à la création du cabinet. Une formation de développement personnel, « l’homme et la maîtrise du changement », fondée sur les recherches du fondateur de l’entreprise. Il n’est plus là en 95, depuis déjà 9 ans. Pour l’autre, une démarche d’évaluation de la personnalité, les outils utilisés n’avaient pas été vraiment remis en question. En 95, d’autres « produits » ont commencé à être développés. Comme vous pouvez le voir, nous pensions produits.
Des problèmes commencent à émerger, ils sont de 2 ordres :
immobilisme et relations peu claires. Ils impliquent des enjeux relationnels et organisationnels. L’affectivité interfère trop dans les sujets professionnels.

Au départ, des constats

un clivage entre l’équipe administrative support et l’équipe productrice de CA. Les relations étaient de l’ordre de la subordination/frustration et non de la co-responsabilité.
L’équipe administrative ne connaissait pas son rôle en dehors de tâches à réaliser.
La tendance était globalement, à l’exécution de tâches successives, dans une logique produit, pour les producteurs.
Nous ne capitalisions pas nos connaissances, notre culture était résolument orale.
Nous avions un fonctionnement de type profession libérale et artisan de pièces uniques.
Nous aimions notre métier et nous avions envie de lui donner une dimension plus constructive (passer de l’examen à la coréflexion) sans bien savoir comment nous y prendre.

Les constats (suite)

Des bonnes volontés affichées mais une certaine installation dans des habitudes confortables et de l’immobilisme.
Il en résultait une déperdition d’énergie individuelle et collective.
Le constat était partagé par les membres de l’équipe en paroles mais cela ne débouchait sur aucun acte. Il restait un constat.
Face à l’environnement qui changeait, les remises en question étaient jugées comme des «caprices » et non comme des impératifs vitaux.
Changer, dans ce cadre, c’était transformer en profondeur les interactions entre nous, à l’intérieur de l’équipe et avec l’ensemble de nos interlocuteurs.

Les chantiers, 3 axes de travail

Forts de nos constats, nous avons lancé 3 grands chantiers :
1. La remise en question de nos pratiques à travers une formation et une expérimentation/application des enseignements de G.Bateson et de l’école de Palo Alto, dans nos pratiques au quotidien.
2. Un travail de l’équipe du secrétariat sur son rôle et son fonctionnement.
3. Un travail sur l’équipe globale pour faire évoluer notre vision de notre métier et de nos relations entre nous et avec notre environnement.

1. La remise en question de nos pratiques

Nous nous sommes engagés dans un travail de fond qui a consisté à apprendre et à expérimenter pour adapter à nos métiers, en parallèle. Pour beaucoup d’entre nous, c’était une véritable révolution, pas facile à accepter.
Ce travail n’est pas terminé.
C’est au quotidien que nous continuons à apprendre, à affiner nos manières de faire, en pratiquant et en nous supervisant mutuellement. Mais nous avons des repères.
Aujourd’hui, la philosophie et le sens dans lequel nous allons sont partagés et constituent un socle commun solide. Nous partageons une croyance : nous évoluons dans un cadre rigoureux, sans pour autant y croire plus que ça. Nous ne sommes pas piégés par des certitudes. Nous créons un contexte où les choses vont pouvoir se passer. Nous donnons des autorisations tout en mettant en place des protections. Nous regardons notre travail comme un champ d’expérimentations, d’enrichissement mutuel et non plus comme un champ d’application.

Ce qui a changé dans nos pratiques:
– la position: la position haute sur le cadre et basse dans la relation.
– le regard: celui de l’anthropologue, de l’explorateur curieux et fasciné par ce monde qu’il va découvrir.
– la place de l’autre: la confiance dans l’autre, il a les éléments en lui (« toi, tu dois savoir ! »)
la force du questionnement dans le changement, plus de fluidité, plus de souplesse, (« je m’autorise à penser à haute voix »), nous nous questionnons ensemble, la personne part avec des questions qui la questionnent.
– la différenciation des niveaux logiques comme source de clarification et de prise de conscience.

Ce qui a changé (2)
– Une concentration plus facile sur l’objectif, ce qui permet de rester centrés sur les informations recherchées par le questionnement, plus que sur les questions elles mêmes.
– La connaissance de certaines « tactiques » comme, faire quantifier, « et si ça continue comme ça… »
– L’introduction de la contextualisation.
– Le rôle des outils qui sont résolument des moyens, des supports, et non des fins en soi.
– L’intégration du rythme de chacun.
– Accepter de ne pas savoir. Cela simplifie l’interaction qui se met en place.
– Les questions du modèle et, en particulier, l’exploration des tentatives de solution…pour éviter d’y entrer soi même.

Ce qui est encore difficile:
– L’utilisation des métaphores, des images de l’autre pour ouvrir le questionnement.
– Garder la position haute sur le cadre, dans la durée.
– Toujours avoir bien en tête la manière dont le type de question posée peut influer sur la réponse que l’on va nous faire.
– Accepter l’impression de ne pas être acteur, selon notre vision du monde, mais au contraire de l’être pour l’autre, dans sa vision du monde.
– Clientéliser.

2. Le travail de l’équipe du secrétariat

Le point de départ: la moitié de l’équipe a été renouvelée. L’arrivée de nouvelles têtes est l’occasion, de créer de nouveaux réflexes pour faire changer les manières de travailler, de créer une véritable équipe, solidaire et professionnelle, de lui donner une vraie place à parité avec les consultants, de l’affirmer dans son rôle, tout cela avec la contribution active et fortement impliquée de son manager. L’enjeu est de permettre à chacune de bien visualiser le rôle global du secrétariat au sein de l’organisation, et, à l’intérieur, son propre rôle, et de trouver des manières d’optimiser le réseau informatique qui a été mis en place il y a environ 2 ans.

Les séances de travail

Les objectifs exprimés au départ: « travailler sur nos relations, entre nous et avec les consultants, améliorer nos façons de travailler. Pour contribuer à ce que l’entreprise fonctionne bien »
Le travail ne s’est pas arrêté à la séance. Après la séance, les idées continuaient à faire leur chemin.
« Pendant la séance, on est là, on parle, on parle, de temps en temps, on nous pose une question, on se demande à quoi ça sert tout ça, et après… on trouve en nous…»

Le résultat

Nous avons cheminé tout doucement, tout doucement nous sommes allées les unes vers les autres, nous avons appris à nous connaître, grâce à ce travail, nous pouvons aujourd’hui travailler dans le même bureau.
Notre travail est plus fluide, nous communiquons en permanence, chacune « sait », nous entendons, nous sommes au courant, nous nous parlons, nous nous acceptons. Nous travaillons dans la bonne humeur.
Nous avons des quantités d’idées pour améliorer.
Nous nous sentons prêtes pour passer au« palier » au dessus, cad, devenir encore plus proactives.

3. Le travail sur l’équipe globale

Ce travail pose encore beaucoup de questions: nous avons l’impression d’être partis dans tous les sens. En effet, c’est parti de l’idée de vivre de l’intérieur un changement de type 2, pour pouvoir mieux sentir ce que nous faisons quand nous accompagnons une personne sur ce chemin.
Mais, en disant cela, ne confondons nous pas la fin et les moyens?
D’où sommes nous partis? Où voulions nous arriver? Où en sommes nous? Par rapport à une transformation qui changerait notre cadre de références, notre conception des choses.
Sommes nous prêts, comme le dauphin, à enclencher, par nous-mêmes, une série de figures originales?
De quoi avons-nous besoin qui ne soit pas satisfait et qui empêche l’envie d’émerger?
De quoi avons-nous envie?

Nous sommes aujourd’hui confrontés, ensemble à un grand nombre de questions. Nous avons clarifié malgré tout quelques points et fixé des choses à faire.

Ce qui a été clarifié

Notre entreprise est le moyen de possibles innombrables à faire émerger et à vivre individuellement et collectivement dans un cadre, notre métier: « détecter et développer les talents en favorisant la prise de conscience et l’expression des potentialités présentes chez chaque personne».
Nous construisons dans le temps et avec le temps. Nous avons enclenché il y a 10 ans un mouvement de fond. La dynamique créée devient visible, nous est reconnue. Nous sommes en marche vers un futur à créer ensembles.
Nous sommes en marche vers la prise de conscience du « corps » que nous formons, avec ses organes qui ont leurs fonctions et qui sont reliés.

Ce qui est encore à faire, parmi les besoins à satisfaire

Nous avons envie d’entendre, d’avoir plus de retours. Il manque une « publication » explicites des décisions prises, des choix faits: accuser réception, reboucler.
Nous apprenons à demander ce dont nous avons besoin et qui n’est pas satisfait.
Nous avons encore des besoins à exprimer: des signes de reconnaissance, du lien, du liant, des occasions de partage hors du cadre habituel, se dire les choses simplement sans laisser le contentieux s’installer, expliciter des repères, bien faire la différence entre les objectifs et les moyens, l’essentiel ne se dit plus entre 2 portes.
Une fois les besoins satisfaits, il faudra savoir nous donner un espace où « rêver » notre équipe du futur.

Pour conclure : La tentation d’oublier le chemin parcouru

– 10 ans plus tard, quel chemin avons-nous parcouru ?
– Nous capitalisons nos connaissances et nos recherches.
– Nous avons un système de veille active.
– Nous avons refondu notre offre.
– Nous avons changé notre relation aux outils.
– Nous travaillons « autrement » en équipe.
– Nous avons commencé à clarifier les rôles.
– Mais avons-nous enclenché un changement de type 2 ou en sommes nous encore une fois aux réglages d’un changement de type 1 ?

Oser la crise

Le séminaire d’Ernest Rossi le week end dernier m’a fait prendre conscience de la nécessité de la crise pour faire le passage de type 2. Avons-nous osé affronter la crise ? Tournons nous autour ? Cherchons nous à composer avec elle ? Avons-nous peur, encore ? Sommes nous en train de freiner ou sommes nous en route vers l’illumination ?
J’ai compris que créer du nouveau, c’est identifier un problème, savoir voir le conflit, l’inconfort qu’il génère, rentrer dans cette phase de conflit et d’inconfort, l’affronter avec courage. Alors, nous pouvons accéder à de nouveaux chemins, de nouveaux possibles.
Voilà notre question aujourd’hui, où en sommes nous sur ce chemin de la création?

© C.-M. Foix/Paradoxes

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