Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la quatrième Journée de Rencontre de Paradoxes, 15 octobre 2005
Claudine PICARD, éducatrice spécialisée et conseillère technique
Résumé: L’apport de la Thérapie Brève a bouleversé ma façon de travailler. Cette communication est l’occasion de témoigner d’une action éducative qui favorise l’émergence des ressources des jeunes que nous accueillons. Cet état d’esprit permet à chaque jeune de regarder sa situation autrement que comme un problème insurmontable.

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« Je vous propose de recevoir quelque chose comme la musique, la beauté ou l’harmonie, mais comment réagissez-vous, dans votre existence bancale, à ce quelque chose ? », François Roustang

Tout d’abord je souhaite remercier l’équipe de Paradoxes de m’avoir sollicitée, tout simplement parce que c’est l’occasion pour moi de témoigner de mon travail.

Il est vrai que pour moi c’est « une première » avec toutes les inquiétudes que cela peut engendrer. Je vais tenter de garder un fil conducteur sans me disperser…
Comme je le disais à l’instant c’est l’occasion : de témoigner d’une action éducative favorisant l’émergence des ressources des jeunes que nous accueillons. Il est vrai que cela fait quelques années maintenant que je travaille auprès d’adolescents et j’ai parfois le sentiment d’une trop grande incompréhension entre le monde des éducateurs et des ados tout comme j’ai le sentiment que le malaise repéré chez les ados est à la hauteur des tentatives de solutions proposées. Autrement dit plus les ados sont « pris en charge » plus ils manifestent leurs mal-être : n’y a-t-il pas là l’expression d’un malentendu ?
Je suis régulièrement frappée de voir tous ces jeunes orientés en soins psychiatriques où psychologiques alors même que cela relève plus du champ éducatif. Comme s’il y avait un mouvement du social et de l’éducatif vers le soin dès le moindre malaise.

Il ne s’agit pas là de présenter la grille de la Thérapie Brève mais bien d’un état d’esprit – d’une perception – reposant sur les concepts de la Thérapie Brève, avec l’idée de créer le levier de changement et de permettre à chaque jeune et à sa famille de regarder sa situation autrement que comme un problème insurmontable.

Avant de poursuivre je souhaite juste vous présenter notre service

I – CONTEXTE PROFESSIONNEL

A titre d’information, le service APMN (Accompagnement Progressif en Milieu Naturel) dépend d’une association loi 1901 : l’APSH (Accompagnement Personnalisé et Soutien à l’Habitat) et repose sur les mêmes textes juridiques que les maisons à caractère social (MECS). Il est agréé pour une capacité de 25 jeunes de 16 à 21 ans.
Dans le cadre d’une mesure de placement judiciaire ou administratif sous couvert de la protection de l’enfance pour les mineurs (article 375 du cc : assistance éducative.)
Dans le cadre d’un contrat jeune majeur pour les majeurs.
Il est fréquent qu’un jeune se retrouve avec en parallèle une mesure de l’ordonnance de 45 relative à la protection des mineurs délinquants.
Le plus souvent ils sont orientés par le secteur social, scolaire (assistante sociale), la Protection Judiciaire de la Jeunesse, le juge pour enfants ou encore directement par les parents. Quelle que soit l’origine de l’orientation, chaque admission relève d’une commission décisionnelle dirigée par le service Départemental de l’Aide Sociale à l’Enfance (il n’y a pas d’agrément justice directe).

D’un point de vue éducatif, le service APMN propose un accompagnement individuel en appartement et de proximité. Il n’existe pas de collectif et chaque jeune qui arrive va être directement confronté à l’expérience de l’autonomie.

En parallèle de la démarche administrative, nous proposons au travailleur social d’informer le jeune de notre numéro de téléphone de façon qu’il nous contacte lui-même pour le rencontrer seul à un premier rendez-vous. Bien sûr, s’il est accompagné de ses parents, nous les recevons en organisant l’entretien en deux temps. A l’exception de certains jeunes en trop grande rupture (c’est alors nous qui allons au devant d’eux), cela fonctionne plutôt bien.

Nous n’avons pas de critère d’admission spécifique, si ce n’est qu’il puisse être un minimum adhérent au projet. Autrement dit, même s’il se « montre » a priori motivé, cela reste des mesures de placement sous contrainte (sauf peut-être pour les jeunes majeurs… quoique…)

En terme d’hébergement, l’association reste locataire de tous les logements (sauf pour ceux qui peuvent le financer) et un contrat d’hébergement intra-institutionnel est signé avec le jeune.
Soit nous lui proposons un logement déjà disponible,
Soit il en a déjà un et, dans ce cas, il peut le garder,
Soit nous lui proposons d’en chercher un lui-même (en fonction de repères que nous lui donnons : le prix, la surface, etc.), et ce, d’autant plus si on le sent dans une conduite d’échec, de façon à le mettre tout de suite dans une position active.

Habitué à être ciblé comme « victimisé » ou « persécuteur » ou encore « rejeté », la recherche du logement le déstabilise et vient prendre place un peu comme un recadrage de reconnaissance en ce sens où l’on ne se pose pas la question de sa capacité ou non à faire des démarches, mais bien dans l’action. Ainsi il est inscrit directement dans un mouvement.
La première victoire c’est quand il le trouve, d’autant s’il en a marre de squatter ici et là. La deuxième victoire c’est tout l’investissement qu’il va mettre dedans…..
Mais venons-en à l’approche interactionnelle…

II – ETABLIR UNE RELATION DE QUALITE

Le modèle de la Thérapie Brève reposant sur les concepts systémiques, le sujet est avant tout considéré dans son contexte et dans son environnement. Ainsi cette idée de mouvement de l’institution vers le jeune (et non du jeune vers l’institution) reflète une volonté de le rejoindre là où il en est et de lui permettre d’utiliser le réseau existant et ses ressources.

Ainsi, la Thérapie Brève est un outil précieux de par sa lecture non normative et permet ainsi d’utiliser toutes les ressources environnantes.
Elle est précieuse également par son ouverture et sa flexibilité : « la réalité n’existe pas … chacun se construit sa propre réalité… » selon WATZLAWICK.

Voilà bien une petite phrase magique venue prendre place comme un recadrage puissant quant à une nouvelle façon d’aborder les situations. En effet, supposons que ce concept soit « vrai » (si je peux me permettre), cela veut simultanément dire que chacun d’entre nous peut aussi modifier sa trajectoire et agir sur son parcours.
N’est-ce pas là une occasion de porter un autre regard sur le jeune ? De lui permettre de passer d’une position de victime à une position active ?
N’est-ce pas là l’occasion pour lui d’être dégagé de cette image de « délinquant » ou de « sauvageon » et à l’inverse d’être regardé comme un jeune posant un acte de délinquance certes, mais à un moment donné de son parcours, dans un contexte donné, et dans lequel il peut agir et construire?

1) – Accueillir la relation
Le premier entretien nous paraît essentiel parce qu’il va devenir en quelque sorte la clé de voûte de l’accompagnement. Seulement, nous accueillons des jeunes inscrits dans de telles ruptures que la rencontre elle-même représente un obstacle. Notre premier souci va être de tenter d’établir un contact aussi minime soit-il qui va commencer par le téléphone.
Apprivoiser
Je me souviens de Laurence 17 ans et demi, vis à vis de laquelle nous avons été interpellé par les services sociaux suite à un incendie de la maison parentale où le père est décédé et depuis la jeune ne va plus en cours, elle squatte, consomme ++ est en errance sur Les Sables d’Olonne et considérée en danger etc.
Dans cette situation il me semblait important de pouvoir la joindre, avoir un contact aussi minime soit-il pour qu’on puisse déjà la repérer.
Après une petite enquête auprès de la bande j’ai obtenu un numéro de portable d’un copain qui pouvait être susceptible de la croiser
Première tentative = échec, il ne la voyait plus
Deuxième tentative effectivement il la croise de temps en temps…
A chaque fois je me présente éduc. APMN (service repéré sur Les Sables), et leur dis que je cherche à la joindre parce que je sais qu’elle galère et que j’ai envie de l’aider….
Puis un vendredi soir, je tente et c’est la jeune qui répond :
non (d’un air surpris !!) c’est toi Laurence ?
oui
ah j’ai de la chance…

je suis vraiment contente de t’avoir

je sais, tu ne me connais pas, et tu dois te dire qui c’est celle-là…tu sais, je travaille à L’APMN et on nous a demandé de t’aider, c’est vrai que sommes prêts à le faire, mais toi-même tu n’as peut-être pas envie et du coup on ne va te forcer non plus si ça te prend trop la tête… mais peut-être que tu n’es pas disponible pour que je t’en parle maintenant…
ben…
écoute, moi-même je ne peux pas rester plus…est-ce que je peux te rappeler demain au même numéro ?…je t’en dirai un peu plus.
Puis le lendemain quelques explications avec la proposition qu’elle nous rappelle si elle est intéressée.
Le jour du coup de fil, nous nous déplaçons dans le café du coin.

Je me souviens de Paul 17 ans, multipliant les passages à l’acte (vol, trafic) et renvoyé de toutes les structures. Il était inscrit dans une telle escalade, que le référent de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) nous sollicite « si vous arrivez à faire quelque chose de lui… » dit-il.
Petite réflexion qui déjà ralentit notre élan. Comment allions-nous pouvoir le rejoindre ? Comment lui donner l’envie de nous rencontrer ? Comment établir un lien ?
Dès les premiers instants au téléphone, nous tentons d’amorcer un début de relation et lui proposons de définir le lieu du rendez-vous. En lui laissant la possibilité de choisir, cela lui permet de prendre ses propres repères. Il choisi un café tout ce qu’il y de plus anonyme (dans lequel il ne rencontrera aucun copain). Accompagné par sa petite amie, il nous demande si elle peut rester.
Si c’est une ressource pour lui, pourquoi l’en priver ? Si c’est le moyen qu’il a trouvé pour ne pas fuir, ce serait bien dommage de passer à côté. D’autant plus que la copine elle-même a vite compris qu’il était préférable qu’elle le laisse seul.

Être à l’écoute
Roustang : se laisser imprégner par la présence de l’autre, de telle sorte qu’on soit attentif au moindre signe et que l’on puisse véritablement entrer en relation. Être vraiment à l’écoute : chez le jeune cela me paraît extrêmement important qu’il sente que nous ne sommes là que pour lui – au moment présent – les jeunes sont très sensibles à cela, ils sentent si nous sommes là ou pas.
On parle également de capter l’attention ; pour moi à chaque jeune que je rencontre je me pose la question : Par quelle porte vais-je pouvoir le rejoindre ? Quelle clé va-t-il me donner lui même ? Comment vais-je pouvoir le saisir dans sa logique ?
A ce sujet, je suis également très sensible à ce que je ressens parce que cela vient me renseigner sur ce qui se passe dans la relation ici et maintenant. Si un jeune est tendu, je vais attendre pour lui faire passer un message et je vais commencer par le mettre à l’aise et le détendre.
Avec les parents c’est la même chose ; il me paraît vraiment important de prendre le temps d’échanger sur ce qu’ils vivent soit le travail ou la famille ou leur situation géographique. Tout ce temps d’affiliation me parait important parce que si il peut paraître long, c’est aussi du temps de gagné pour la suite. Comme la plupart d’entre nous, ils ont d’abord besoin que l’on s’intéresse à eux, à ce qu’ils vivent etc. De travailler à partir de ce qu’ils offrent.
Je me souviens d’un papa qui a une dépendance à l’alcool et qui avait des photos de sa propre famille dans son portefeuille, très vite durant l’entretien il me montre une photo de lui sur un chantier, étape préliminaire nécessaire pour lui.

2) – Changer notre regard et se laisser surprendre
A chaque fois que nous le pouvons, nous attendons de rencontrer le jeune, avant de lire l’évaluation le concernant. Derrière ce souci de vouloir transmettre tous les éléments, il peut aussi y avoir le risque de l’enfermer dans « notre » perception. « Ne vous laissez pas envahir par un trop plein d’informations », nous disait-on en formation.

Effectivement, laissons-lui la possibilité de donner une autre image de lui-même, laissons-lui l’opportunité du changement de contexte pour qu’il puisse se présenter autrement que comme celui qui doit être sanctionné ou « enfermé dans sa problématique ».

3) – Considérer le jeune dans son contexte
Prenons maintenant l’exemple de Joël, 17 ans et demi.
Il nous est orienté suite à un renvoi d’un foyer éducatif pour coups et blessures sur une éducatrice. Il est poursuivi en pénal.
Lors du premier entretien, il se présente avec des lunettes de soleil, mâchant le chewing-gum, les mains dans les poches du blouson, l’expression du visage fermée, à la limite de l’arrogance. L’accueil va être d’autant plus important qu’il se montre désagréable et opposant. S’il s’est construit une petite carapace de protection, nous pouvons aussi lui permettre de la poser. Là encore, c’est bien rare qu’un jeune dise « je suis content d’avoir été violent ». Même s’il ne s’en vante pas il n’est généralement pas très fier.
De notre côté, nous allons donc tenter de repérer comment Joël se situe par rapport aux faits qui lui sont reprochés et vérifier si c’est un problème pour lui et si ça lui arrive souvent ? En quoi cela va-t-il être différent en venant à l’APMN ? Comment pense-t-il pouvoir se contrôler ? Il ne s’agit pas de l’excuser, mais bien de le resituer dans son contexte et lui proposer d’autres alternatives.

4) – Rejoindre le jeune dans sa vision du monde – Parler le même langage
Chacun d’entre nous, nous avons notre perception, notre logique avec nos croyances, nos valeurs, différentes de celles du jeune. Comment pouvons-nous aider celui-ci si nous n’avons pas vérifié ses attentes ?
En arrivant à l’APMN, la première demande annoncée va être le logement. Or, il existe des services compétents pour cela comme les HLM, les agences…
Il est orienté ici dans un service éducatif et à la question : en quoi pouvons-nous lui être utile en tant qu’éducateurs ? Qu’est-ce qu’il attend de nous ?
Pour certains la réponse va être très polie : « être aidé, parce qu’il a besoin qu’on lui dise ce qu’il a à faire »… Et puis très vite nous allons repérer un discours tout à fait « correct et adapté » à celui que l’on veut bien entendre. (Il est à noter toute la capacité qu’ils ont à rejoindre les travailleurs sociaux dans leur vision du monde).
Mais dès que l’on tente d’approfondir ces propos, la réponse est beaucoup plus évasive avec un « je ne sais pas ». Elle est paradoxalement plus précise en ce sens où il s’autorise enfin à exprimer ce avec quoi il est.

Il est plus intéressant de travailler à partir de ce « je ne sais pas » – tout simplement parce qu’il nous renseigne sur le jeune et la confiance qu’il commence à amorcer et, simultanément, sur la nécessité de lui laisser le temps d’élaborer une demande.
Aujourd’hui chaque jeune doit avoir un projet bien établi, bien construit… Et si ce projet c’était justement de ne pas avoir de projet ? Et si le projet c’était justement de pouvoir poser ses valises – de pouvoir souffler- Enfin !

Nous leur demandons d’être autonomes dès 17 ans pour certains, alors même que le mouvement actuel est une prolongation dans la famille jusqu’à 20-25 ans. Non seulement ils ont des difficultés familiales, scolaires, sociales, etc. mais en plus ils n’ont pas le droit à l’erreur et doivent faire leurs preuves.

– Revenons avec Paul
Il s’exprime avec un timbre de voix très bas, parlant à demi mot, la tête baissée …en murmurant avec un brin d’humour :« tu devrais encore parler plus bas pour être sûr que je ne t’entente pas – Tu dis que tu veux travailler mais ce que je crains c’est que ça va être moins intéressant pour toi, d’autant que cela fait longtemps que tu as décroché…, imagine… si tu avais une baguette magique qui réaliserait tous tes rêves….
A peine a-t-il entendu la fin de ma phrase, Paul relève la tête et me regarde avec un grand sourire :
– Une grosse bagnole avec plein de tunes et du champagne à flots…
– Génial, et c’est toi qui veux travailler ? Tu ne crois pas que tu as d’autres moyens pour avoir pleins de « tunes ?»..
Réaction immédiate :
– C’est bien la première fois « qu’un éduc » me parle comme ça… !!!!

Cette attitude quelque peu provocatrice est aussi une façon de le rejoindre dans sa position, dans ses propres références. Plus nous allons prendre le temps d’être réceptif à ce qui l’anime, à ses rêves, plus nous allons pouvoir être au même niveau de communication et ainsi se rapprocher de ses préoccupations premières. Ainsi, s’il se sent écouté et reconnu dans ses désirs, il sera à son tour disponible pour recevoir des messages recadrants.

5)- Dédramatiser – dépathologiser
Pour le jeune : à chaque fois je suis impressionnée de voir comment les jeunes se présentent. Une jeune fille me dit un jour :
Je suis schizophrène. Quand je lui demande : concrètement qu’est ce qui te fait dire que tu es schizophrène ? Je ne sais pas, me répond–t-elle, c’est le docteur qui l’a dit. Il paraît que j’ai une double personnalité. Quels sont les signes qui te font dire que tu as une double personnalité ?
Ben je ne sais pas c’est le médecin qui l’a dit…

L’autre jour une jeune s’est présentée ainsi : je suis toxico
Il est intéressant de vérifier quelle est sa propre perception de la toxicomanie, en même temps : est-ce que tu veux dire que tu consommes du matin au soir ? Avec intra veineuses ?
Oh non quand même pas ! Alors que veux-tu dire concrètement ? Quels sont les produits que tu prends ?
Très utile pour les parents : souvent nous entendons des parents : ma fille est malade – elle est folle, ou encore : elle va très mal, ou encore, ce qui est très fréquent aujourd’hui : elle est toxicomane.

6) – Etre cohérent avec soi même et la place que l’on occupe
L’engagement dans la relation : que le jeune sente que nous sommes complètement avec lui.
L’action éducative est me semble-t-il un travail d’accompagnement et d’engagement au quotidien sans cesse renouvelable et réinterrogeable. Nous avons une responsabilité éthique importante, en ce sens où nous devons sans cesse évaluer ce que nous mettons en jeu dans l’interaction, que ce soit la communication verbale et non verbale. Comment nous nous calibrons avec le jeune, mais aussi comment par exemple, nous recevons dans un bureau accueillant et ordonné.
Nous pouvons également retrouver une cohérence dans notre positionnement vis à vis de notre métier. Aimer faire son travail et le transmettre avec plaisir, c’est aussi créer une ambiance favorisant le changement.

7) – Redonner une position haute tout en restant humble
Comment as-tu fait pour réussir à te contrôler ? Que penses-tu que tu aurais pu faire d’autre ? Ce questionnement est une façon de permettre au jeune de reprendre une position haute dans la relation, de lui redonner du pouvoir et de s’attribuer sa réussite. Il prend ainsi la place d’expert de sa situation.
De plus, il est bien utile de demander de l’aide au jeune pour pouvoir l’aider, tout simplement parce que nous ne pouvons pas savoir à sa place ce qui est bon pour lui.

8) – La re-formulation
Si j’ai bien compris…, peut-être que je me trompe, mais quand tu dis …est-ce que… ?
La re-formulation permet de vérifier si on a bien compris les propos du jeune. Elle peut également le renseigner sur l’attention que nous portons à ce qu’il vit et à ce qu’il ressent. C’est une façon de lui redonner un feed-back sur l’essentiel de ce qui vient d’être dit tout en lui proposant au passage des recadrages.
En même temps qu’elle nous permet de nous réajuster, elle va également favoriser une clarification de la définition de la difficulté où de la situation.

9) – L’utilisation du silence
« Je ne comprenais rien, j’étais toutes oreilles »>, disait Françoise Dolto.
Faire silence et écouter le jeune avec présence, peut favoriser l’expression du jeune et le laisser faire émerger des idées ou des solutions auxquelles il n’aurait pas pensé. Combien de fois posons-nous des questions sans attendre les réponses, voire même en répondant à sa place ?
Le silence peut être une façon pour lui de réfléchir à une idée ou à une solution….Tout comme il est important de le laisser chercher en l’ accompagnant dans sa recherche : « c’est vrai c’est difficile comme question… »

10) – La restitution
A chaque évaluation, il me paraît important de la lire au jeune concerné. Non seulement c’est un droit qui lui est réservé, mais en plus, cela peut être très moteur. La restitution nous demande simultanément une plus grande rigueur dans les écrits et un respect à développer. L’écriture produite avec le jeune, le positionne, là aussi, en co-intervenant quant à l’évolution de son parcours.
Chaque rapport d’échéance est adressé à l’Aide Sociale à l’enfance et au juge pour enfants. En associant le jeune et ses parents à son écriture, cela permet également d’être au même niveau d’information et évite les dérapages ou les observations inadaptées.

« L’acte a été commis et ne peut être défait, alors laissons le passé enterrer ses morts. »
Milton H.ERICKSON

III – STRATEGIE D’INTERVENTION

1) – Vérifier quel est le problème ?
Quel est le problème, qui a le problème et en quoi est-ce un problème ?
Si cette question semble aller de soi, il n’est pas si évident d’y répondre, d’autant plus dans ce contexte sous contrainte. Comme nous l’évoquions précédemment, c’est peut-être plus l’éducateur ou le travailleurs social qui l’oriente ou encore ses parents, qui sont demandeurs…
Or, en THÉRAPIE BRÈVE, la définition du problème est bien du point de vue du client lui-même et ici et maintenant.
Tout en proposant au jeune du temps pour se poser, nous allons simultanément explorer avec lui les raisons pour lesquelles il y a de l’inquiétude le concernant et s’il est d’accord avec le problème énoncé, s’il a lui-même une définition du problème, etc.
l’exploration très concrète. Prendre vraiment le temps d’explorer concrètement – comment – observer toutes les interactions
En fait est-ce que tu es en train de nous dire que tu viens là parce que l’on t’a dit de venir et que finalement tu ne sais pas trop ?
Oui c’est un peu ça
Ok mais en fait de ton point de vue, toi tu n’as pas de problème…
Ben non…c’est ma mère qui dit ça…
Selon toi quelles sont les raisons pour lesquelles ta maman est inquiète ?
Elle s’affole pour un rien…
Concrètement à propos de quoi par exemple ?
Faudrait que j’arrête mes conneries…
Quelles conneries te reproche-t-elle ?
Ben, faut que j’arrête de ….
C’est ta maman qui veut que tu arrêtes, mais toi, finalement tu ne t’en sors pas si mal…
Ah non moi j’arrête….je galère trop
Quand tu dis que tu galères, concrètement que veux-tu arrêter ?
Je me prends la tête avec tout le monde…
Oh, ça ne te gênes pas toi …t’es habitué maintenant (avec une pointe d’humour)
Si vous croyez que c’est drôle…
En quoi cela te pose un problème ?…

C’est ainsi que nous allons amener le jeune à décrire très concrètement et de façon interactionnelle ce qui lui est reproché et s’il est demandeur de changement.

2) – Stopper les tentatives de solution et sortir d’une position de sauveur
Pour les jeunes qui arrivent suite à une rupture d’avec leur lieu de vie (institution, famille d’accueil ou encore parents),….le service APMN est alors proposé comme une autre solution et peut-être même comme l’ultime solution… En tant qu’éducateur, nous avons une fâcheuse habitude de « porter les situations » comme de véritables charges portées sur le dos….Et, c’est tellement facile (et peut-être gratifiant) de prendre le relais du « sauveur ».

Or en agissant ainsi nous expérimentons régulièrement combien nous sommes dans la répétition du «  portage » et simultanément du « plus de la même chose »

– A chaque demande, nous devons rester vigilants à ne pas devenir la Nième tentative de solution…risquant de mettre encore plus en échec le jeune. Cela ne veut pas dire pour autant refuser les demandes, mais bien prendre le temps d’évaluer ce qui va être différent pour lui et en quoi cela va-t-il être différent des autres structures ? En quoi, selon lui, l’accompagnement APMN va-t-il lui permettre d’amorcer un changement ?

– Et puis il y a les tentatives de solution du jeune par rapport à un problème annoncé :
G. nous explique ses angoisses répétées, surtout le soir au moment du coucher, quand elle réalise qu’elle est toute seule. Après avoir pris le temps d’explorer : comment les angoisses se manifestent-elles ? A quel moment de la soirée ?…Nous lui proposons de lister ce qu’elle tente de faire pour se sentir mieux, quelles tentatives elle met en place ?
Souvent nous retrouvons une volonté de contrôle à ne pas s’effondrer : G. explique qu’elle ne veut surtout pas craquer parce qu’elle a peur que cela augmente ses angoisses.
Si nous reprenons le thème (c’est à dire le dénominateur commun) de ses tentatives de solution, il peut se définir comme «  je ne dois pas craquer ».
A l’inverse, le thème thérapeutique peut justement être de l’autoriser à craquer. – Je sais bien que pour toi, ce n’est pas dans tes habitudes, et probablement c’est quelque chose de difficile à faire, mais en même temps, peut-être pourrais-tu laisser venir tes angoisses et ne pas chercher à les retenir – au contraire les laisser s’exprimer, laisser les larmes couler jusqu’à ce que tu n’en n’aies plus…Ce serait aussi une façon pour toi de reprendre le contrôle sur ta situation.
En faisant ce virage à 180°, c’est une façon d’aller à l’encontre de ses tentatives de solution et ainsi mettre le petit grain de sable pour arrêter le système.

3) – L’objectif minimal
Quel serait le plus petit signe qui vous ferait dire que la situation a évolué ?
L’objectif doit être petit, concret, et réalisable et déterminé par le client.
Un petit changement est la seule chose qui soit nécessaire : un changement dans une partie du système peut entraîner des changements dans une autre partie du système.
Quand un jeune est dans une difficulté, il évoque souvent le cercle vicieux dans lequel il est inscrit. Plus il vérifie qu’il est dans une incapacité d’agir, plus il est déprimé. Si cette tendance à l’escalade dans l’échec fonctionne bien, elle peut tout autant fonctionner de façon constructive dans l’autre sens. Dès qu’un petit changement positif est obtenu, le jeune se sent optimiste et plus confiant pour s’attaquer à d’autres changements plus importants.

ERICKSON utilisait la métaphore de la boule de neige qui dévale une montagne : « une fois la boule en mouvement, le thérapeute n’a plus qu’à se tenir à l’écart de son trajet », disait-il.
Le changement a un caractère contagieux. C’est aussi l’effet papillon qualifié par le scientifique LORENZ qui explique que «  si un papillon bat des ailes au Brésil, cela peut produire une tornade au Texas. Il parle « d’attracteurs étranges organisateurs sous-jacents : La plus infime modification a un effet considérable sur des systèmes aussi complexes que le climat ».

4) – Freiner le changement et oser prendre des risques
Colette est orientée suite une hospitalisation au CHS (Centre Hospitalier Spécialisé) et une tentative de suicide (conflit avec ses parents).
A chaque fois que nous accueillons un jeune qui a tenté de mettre fin à ses jours, il existe toujours un risque compte tenu, entre autres, qu’il se retrouve seul chez lui sans aucune protection directe.
Tu souhaites avoir ton autonomie ….tu as raison, c’est plutôt sympa d’avoir un studio que l’on peut aménager à son goût, recevoir des amis etc. Mais en même temps, nous ne pouvons pas t’empêcher d’avoir envie de mourir et notre travail, ce n’est pas d’aider les jeunes à mourir, mais plutôt à construire…
Oui mais maintenant c’est fini, c’est du passé…
Tant mieux ! Comment as-tu réussi à passer à autre chose ?
Quand même…c’était juste un appel au secours…
Justement c’est une question trop délicate qui demande réflexion…De notre côté nous sommes ok pour t’aider à continuer ce que tu as commencé. Seulement nous te proposons de prendre le temps de réfléchir à cette orientation, de peser les avantages et les inconvénients et tu nous appelles d’ici une semaine au moins pour nous informer où tu en es.
C’est trop long et moi je vous dis que je suis prête
Tant mieux mais c’est une question trop grave pour la traiter à la légère
Si vous n’avez plus de studio ?
C’est vrai, tu as raison, il y a beaucoup de jeunes qui souhaitent entrer dans le service mais, nous réservons ta place jusqu’à ton appel.

Dans cette situation il nous paraissait important de ne pas trop rassurer Colette et de l’informer du risque qu’elle avait à réussir sa tentative de suicide tout simplement parce que personne ne serait là pour la sauver. Compte tenu de son fort désir de vouloir être autonome, nous avons ainsi freiné le mouvement d’évolution en l’informant que nous ne mettions pas en doute son souhait mais qu’elle ne nous paraissait pas prête. En revanche elle pouvait commencer à faire des premières recherches de logement. Mais seulement et seulement si elle se sentait en forme pour le faire…

En freinant d’un côté et en responsabilisant de l’autre, c’est aussi une façon de lui redonner les rênes du contrôle sur sa vie.

5) – La tâche
Il est difficile de parler de prescription dans le cadre de l’action éducative, tout simplement parce que nous ne sommes pas dans une relation thérapeutique en ce sens d’un client avec son thérapeute.

En revanche, il m’arrive assez régulièrement de proposer au jeune et aux parents d’observer le comportement ou les changements opérés. De plus le carnet de bord emprunté à NARDONE est un outil qui est généralement bien accueilli notamment pour les ruminations.
Quant à la prescription paradoxale, elle s’apparente plutôt à un mouvement comme celui de proposer de ne pas retenir ses larmes par exemple ou encore de laisser venir les angoisses, qu’à une véritable prescription bien structurée et délimitée.

6) prévenir la rechute

IV – QUELQUES OUTILS

1) – La question de la priorité
De toutes les difficultés que vous évoquez, concrètement quelle est celle que vous souhaitez voire évoluer en premier ?

En écrivant cette question, je pense surtout aux parents. Souvent envahis par de nombreuses préoccupations, ils ont souvent le souhait de nous communiquer de multiples informations et le risque de l’éducateur c’est tout simplement de s’y perdre et de perdre de l’énergie. La priorité permet de canaliser l’entretien tout en créant simultanément une ouverture pour la définition du problème.

2)- Arrêt sur image
Souvent les parents ou le jeune lui-même a des difficultés à présenter ce qui le tourmente : ça me prend la tête, dit-il, ou encore je vais péter les plombs ou encore je suis scotché…. Nous lui proposons de décrire très concrètement l’interaction : quand tu dis « ça me prend la tête » concrètement qu’est ce qui te prend la tête et comment ça te prend la tête, que se passe-t-il à ce moment là ?

3) – Le recadrage
Faire un recadrage, c’est proposer une autre perception que la personne a de son problème. Le recadrage reste pour moi un exercice fastidieux. Cela demande beaucoup de répartie et de pertinence. Il m’est difficile de repérer concrètement des recadrages que je pourrais faire. Ainsi dans l’exemple qui suit, je pense plus à une intervention qui a pu avoir un effet recadrant pour la maman qu’un véritable recadrage.

Martine est admise dans notre service suite à une rupture institutionnelle (accident de voiture grave : seule survivante sur 5 jeunes morts dont son petit ami : consommation alcool – cocaïne – ectasy…). Elle multipliait les conduites à risque et n’avait plus aucune envie de vivre. Durant toute une période nous avons mené un accompagnement en freinant en permanence le mouvement. Comme nous ne repérions aucun changement, lors d’une rencontre habituelle avec la maman (elles ne se parlaient plus), nous l’informons de notre incompréhension en lui demandant son aide.

Au cours de l’échange, elle nous explique qu’elle a un projet en tête, bien déterminé depuis longtemps.
– …De toute façon j’ai tout prévu…, dit- elle
Que voulez vous dire ?
Je ne peux pas vous en parler (tout en restant très figée).
Puis au bout d’un certain temps,
J’attends que ma fille soit autonome pour me ….(regard complètement fermé)
Permettez-moi d’insister pour faire quoi ?
Vous ne pouvez pas comprendre….puis….pour me suicider….
Vous vous êtes donné combien de temps (après un long silence de surprise) ?
Quand elle saura se débrouiller seule… je sais qu’elle a encore besoin de moi, mais après je n’aurai plus besoin d’être là – ma vie n’est qu’une merde…..
Ça me touche ce que vous me dites, je vous trouve très courageuse. Votre fille peut être fière de vous. En même temps, je me demande comment elle peut avoir envie de vivre et d’évoluer si c’est pour vous perdre ? Pour quelle raison aurait-elle envie de vivre si à chaque pas qu’elle fera ce sera pour se rapprocher de votre mort ? Elle a déjà perdu ses copains puis ce sera sa mère, il y a quelque chose qui m’échappe…
Ah mais elle ne le sait pas, je ne lui ai jamais dit ça
Ne croyez-vous pas qu’elle puisse le ressentir ?
Je n’avais pas pensé à cela
Je m’en rends bien compte.
Ecoutez, prévenez-nous suffisamment de temps à l’avance pour qu’on puisse s’organiser
Comment ça ?
Et bien si vous avez l’intention de vous suicider, nous devrons continuer de nous occuper de Martine, autant qu’on le sache à l’avance.
Ah mais je ne sais pas si je le ferai…
C’est une question trop sérieuse, je vous demande d’y réfléchir pour la prochaine fois.
Aujourd’hui Martine a son studio, un nouveau petit ami et elle a stoppé toute consommation. Elle va régulièrement passer le week-end chez sa maman. Cette dernière a le projet de reprendre des études et nous n’avons plus jamais reparlé de cet épisode.

4) – L’humour (comme recadrage)
L’utilisation de l’humour est très utile dans la relation, tout simplement parce qu’il entraîne le rire qui devient communicatif. En plus d’une réaction physiologique, il permet de faire tomber la pression et de créer une ambiance détendue ce qui favorise la libération de la parole. Il est très utile dans les situations à la limite de l’escalade ou encore pour dédramatiser un problème, ou tout simplement pour recueillir la coopération de la personne.

Tout récemment, j’ai reçu la maman de la jeune fille qui a eu l’accident de voiture. Comme elle va partir faire la saison plusieurs mois, elle est inquiète pour sa mère qui de nouveau traverse une période de fragilité.
En commençant l’entretien, Mme D. s’étale sur le bureau…..
De toute façon je m’en fous…et puis elle s’en fout de sa mère….même si je ne voulais pas qu’elle parte elle le ferait pareil… très défaitiste….
Ah je me disais aussi, cela faisait un moment…C’est vrai ça commençait à me manquer…. j’avais oublié votre grand optimisme…
De toute façon je ne suis pas affective !!!!
Non, pensez vous…. qu’est ce que je fais : je sors les mouchoirs ? je m’écroule sous la table ?
Elle éclate de rire : Oh arrêtez de vous moquez de moi !!
Vous avez raison je me moque de vous…. mais il est vrai que j’imagine que voir sa fille partir plusieurs mois, cela ne doit pas être facile pour une maman.
Elle va me manquer, j’ai peur pour elle….

5)- L’utilisation des échelles d’évaluation
Comme l’escalier ou la graduation entre 0 et 10 : ils aiment bien cela parce que c’est concret et ils le visualisent

6)- La question de l’exception
Elle est très utile avec les parents. Ils ont tellement entendu d’informations négatives sur leur fils ou leur fille ou eux-mêmes ont tellement vécu de moments difficiles qu’ils n’arrivent plus à regarder ce qui fonctionne bien.
Je me souviens des parents de Mathilde. Durant la première demi-heure d’entretien ils passent leur temps à relater tout ce qui ne va pas. Même en posant la question de la priorité, ils ne peuvent s’empêcher de revenir sur les aspects négatifs. Et en posant cette question de savoir si il y a des moments où le problème ne se manifeste pas et en leur laissant le temps de répondre, de chercher…il est intéressant de repérer une liste importante de petits signes très concrets qui viennent renseigner sur un début de changement. En faisant la liste eux-mêmes cela leur permet de changer leur regard sur la situation et simultanément cela interagit de façon constructive.

7) – La métaphore
Quand le petit ange dépasse le petit diable…
Aline est arrivée dans notre structure suite à un parcours de squat en squat, vol,….Lors d’un entretien elle m’explique qu’il y a deux personnes en elle. Le petit diable et le petit ange…
Concrètement à quoi ressemble le petit diable ?
Quelqu’un qui ne veut pas que je m’en sorte, il veut que je tombe dans le trou
Et le petit ange ?
Il est gentil, il veut que je m’en sorte
Si on prenait une échelle d’évaluation où tu les situes l’un et l’autre ?
Petit Diable est aux fesses du Petit Ange (les situant sur le schéma)
Avant c’était Petit Diable qui était à la place de Petit Ange, mais maintenant c’est Petit Ange qui est plus fort
Comment Petit Ange a fait pour résister à Petit Diable ?
Petit Ange s’est mis dans ma tête et m’a posé plein de questions sur mon avenir. Et c’est là que j’ai compris que je pourrais résister au méchant Petit Diable
Merci Petit Ange
Plusieurs fois Petit Ange et Petit Diable ont participé à nos échanges. Même que Petit Diable revient de temps en temps « dans le champ de vision » d’Aline et « qu’il a failli m’avoir il cherche à m’entraîner dit-elle encore, mais Petit Ange est toujours là… ».

Entretien récent :
Alors que devient Petit Ange ?
Il est toujours devant (elle le situe encore un peu plus loin sur l’échelle)
Qu’est-ce que Petit Ange a fait de plus pour être à cette place ?
Petit Ange a fait beaucoup d’ordre dans sa tête, il a compris beaucoup de choses…. Après un temps de silence : Petit Ange avance doucement, mais il faudrait un peu plus avancer.
Il faut qu’il fasse quoi pour avancer ?
Qu’il s’occupe de lui même et pas des gens autour de lui qui lui feront jamais sa vie…..Puis se met à rire en s’écoutant parler : je serai poète plus tard
Tu disais à l’instant : Petit Ange a compris beaucoup de choses, qu’est-ce qu’il a compris ?
Il a compris :
1) qu’il serait toujours mieux servi par lui même
2) qu’il fallait arrêter de dire et de ne jamais faire
Je ne comprends pas
Quand je dis que je m’occupe des papiers par exemple et bien je dois le faire…
D’accord, quoi d’autre encore ?
3) que tout ce que je faisais avant comme bêtise n’a servi à rien et n’a jamais ramené mon papa (décédé dans un incendie) et en plus ça a failli me détruire.
Comment Petit Ange réussit à rester plus fort que Petit Diable ?
Après avoir eu une longue discussion avec mon grand frère (morale du grand frère vis à vis de la petite sœur), je pense que Petit Diable s’est fait brûler et Petit Ange s’est fait resserrer les vis et il a compris qu’il serait plus fort.
Comment l’aider à garder sa force ?
En continuant sur cette voie là – ne pas dériver à droite ou à gauche. Si Petit Ange est plus fort maintenant que Petit Diable, c’est parce qu’il a été beaucoup courageux, alors pourquoi pas plus tard ?
Oui tu as raison, faisons lui confiance.
Bravo Petit Ange, finit-elle par écrire en gros sur la feuille.

Petite précision : durant ces derniers entretiens c’est elle même qui prend les notes : elle rédige les questions que je lui pose et ses réponses.

CONCLUSION
En effet, il est difficile de ne pas tomber dans le processus du « sauveur » dans nos professions de « soignants ». Comme il est plus facile d’agir à la place de l’autre et de s’agiter pour lui…
Le plus laborieux c’est peut-être de ne rien faire et de freiner le changement. Pour un éducateur, c’est aller à l’encontre de ses habitudes : « Ne pas faire à la place de », voilà tout un programme, bien difficile à tenir. Et pourtant, il arrive un moment où le système se renverse : chaque aide que nous proposons devient vite un moyen qui accentue le problème, tout simplement parce que l’écart devient trop important entre les attentes du jeunes et les nôtres, entre ce qui lui est demandé de faire et ce qu’il est en mesure de faire…

La solution qui semble la plus adaptée et la moins destructrice est de sortir de cette position haute dans laquelle nous nous mettons vis-à-vis du jeune et, parfois, pour certaines situations, de prendre le risque de clore un contrat pour le dégager d’une pression qui le met encore plus en difficulté.
Nous avons pu le vérifier régulièrement : nous avons vu des jeunes rebondir et amorcer un changement à partir du moment où nous avons arrêté de « vouloir » à leur place.

Ainsi l’accompagnement que nous proposons va être en quelque sorte une « offre de service » à un moment donné du parcours du jeune. Il s’agit de lui offrir un espace temps durant lequel il va avoir la possibilité de faire des expériences concrètes, aussi petites et réalisables soient-elles, de façon qu’il puisse repartir enrichi d’expériences positives, de petites victoires qui lui redonneront confiance et sur lesquelles il pourra s’appuyer chaque fois qu’il en aura besoin.

« Vivre c’est jouer un jeu dont le but est d’en découvrir les règles alors qu’elles changent toujours et restent toujours impossibles à découvrir. Gregory BATESON

© C. Picard/Paradoxes

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