Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la cinquième journée de Rencontre de Paradoxes, 14 octobre 2006
François Simonot, psychothérapeute, formateur

Résumé : Où je pourrai vous témoigner de l’utilisation du modèle de Palo Alto dans le cadre de formations que je dispense auprès d’acteurs sociaux ( Assistantes  Sociales., Educateurs, Moniteur-Educateurs, T.I.S.F. …).Ces formations ont pour axe principal l’éducatif. Elles n’ont donc pas pour objectif l’apprentissage du modèle lui-même.
Je tenterai d’expliquer comment j’intègre, malgré tout, certaines notions fondamentales du modèle de Palo Alto auprès des stagiaires.

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Introduction

Tout d’abord, j’aimerai saluer la mémoire de Marie-Christine Aurimond, qui n’est plus parmi nous, mais sans qui je ne serais pas devant vous aujourd’hui. En effet, c’est elle qui m’a parlé, pour la première fois, de l’École de Palo Alto.

Je suis François Simonot, et pour ceux qui ne me connaissent pas je vais rapidement me présenter. J’ai travaillé dans le secteur social: d’abord éducateur en prévention spécialisée ( éducateur de rue ),  je suis devenu coordinateur d’un espace de socialisation, et enfin, chef de service éducatif d’un espace famille ( accueil parents/enfants ).

Lorsque j’ai connu le modèle j’y ai rapidement trouver des réponses à des questions et des problèmes rencontrés dans mon travail. Et lorsque j’ai commencé à le pratiquer, je me suis heurté, comme beaucoup d’entre nous, à la grille, la stratégie, le paradoxe… Mais plus encore, je me suis vite confronté aux partenaires, au travail en réseau… Ce regard peu commun est si peu partagé…
Aujourd’hui je ne travaille plus en institution. Mais quand on m’a proposé d’animer des formations pour les acteurs sociaux, il a été évident pour moi de vouloir insuffler le regard du modèle de Palo Alto auprès des stagiaires. Ces formations n’ont pas pour objet propre le modèle de Palo Alto, la Thérapie Brève ou même la systémique. Elles ont des intitulés concernant le lien éducatif, le travail avec les parents, la communication… Il y a deux niveaux de formations dans lesquelles j’interviens :
– la formation primaire: pour des personnes qui visent des diplômes comme ceux d’assistante sociale, d’éducateur spécialisé, moniteur-éducateur, de technicien d’intervention sociale et familiale, de conseillère en économie sociale et familliale, etc.
– la formation professionnelle et continue: avec des acteurs sociaux qui sont en poste et qui souhaite une formation sur un thème précis.

Afin de clarifier au mieux mon modeste témoignage je vous propose de construire mon intervention autour de trois points :
– mes objectifs lors de ces formations;
– les notions du modèle que j’aborde ;
– comment je tente de transmettre ces notions.

Mes objectifs lors de ces formations

Pour éclairer mes objectifs, je dois faire tout d’abord quelque considérations… La plupart des acteurs sociaux se sentent en échec en regard de leurs missions. La plus grande part entre eux est tirailler par leur ”double casquette” ( double contrainte?) : aider et contrôler. Les postes d’assistante sociale de secteur, les institution comme la protection judiciaire de la jeunesse, les dispositif comme la récente aide éducative à domicile sont pris dans ce mouvement aider et contrôler.
Mais restons au niveau de la relation d’aide… De par son histoire, la stratégie de l’intervention sociale, au début du siècle dernier, peut se résumer ainsi “Moi, acteur sociale, face à quelqu’un, je sais, je vois la solution et mon travail consiste à l’y conduire“ (pensons aux dames patronnesses qui remettaient dans “le droit, bon chemin”) . Puis, au fil du temps, nous somme passés à quelque chose comme “ la solution est en vous, mais vous ne la voyez pas, aveuglé que vous êtes par le problème et/ou par la souffrance”. Le travail de l’acteur social est donc de faire éclore, émerger la solution afin que la personne s’en saisisse enfin. Comme vous le savez le modèle de Palo Alto propose une autre vision, quelque chose comme: “la solution n’est ni en moi, ni en vous; mais de par notre échange, notre interaction, mon questionnement, la modification de la vision du problème ouvrira d’autres champs du possible”: c’est la co-construction.
De la même façon, et très parallèlement, nous sommes passé de “la” vision du monde, une seule vision possible (comme “la” Callas ), à “les” visions du monde ( appréhender la même réalité par des prismes différents ). Le regard de Palo Alto, lui, propose une autre option : “les” visions “des” mondes ( je peux vivre sur la Terre au côté de personnes qui vivent pourtant sur une autre planète ). Mes objectifs seront donc un changement de regard sur l’autre, entraînant un changement de positionnement. La présentation du modèle dans ces formations provoque souvent un re-cadrage pour les participants: au moins, les stagiaires constatent que d’autres pensent et travaillent différemment; au plus, ils ressentent une ouverture, voient les choses différemment et veulent en savoir plus… Je leur propose alors de rentrer en contact avec les lieux de formation au modèle. En fait je ne présente qu’un échantillon du modèle…

Les notions du modèle que j’aborde lors de ces formations

Au regard de mes objectifs, c’est bien sur la notion du positionnement à la façon de Palo Alto que je souhaite introduire: accepter l’autre comme libre et responsable, le considérer comme spécialiste de son problème, la position base, etc.
Évidement il me faut aborder la vision du monde : la respecter, savoir la questionner sans la heurter…
Par ailleurs, je travaille de plus en plus sur la notion de problème. Dans leurs formations initiales, les acteurs sociaux n’ont pas l’occasion de travailler cette notion… comme si elle était une évidence! La faire définir donne parfois des choses tout à fait étonnantes. Et lorsque l’on aborde les questions “en quoi est-ce un problème?”, “ pour qui est-ce un problème?”, elles suscitent beaucoup de réactions, qui touchent à la norme, à la vision du monde des personnes présente…
Enfin, la notion de l’objectif est abordé. Là encore, souvent, au départ les stagiaires sont étonnés de ces interrogations sur l’objectif. N’est-il pas évident, presque implicite? là encore nous touchons à la norme.
Parfois, selon le temps qui m’est imparti, j’introduit la notion de tentatives de solutions. Mais je ne vais jamais au-delà. Je n’aborde pas l’idée de l’arrêt des tentatives de solutions, ni bien sûr le 190°, donc du paradoxe. Cela n’est pas facile a appréhender si rapidement, et serait trop violent. Lors d’une première formation, je me suis risqué jusque là, et les réactions hostiles ne se sont pas fait attendre! Mais il est bien normale de réagir vigoureusement, souvenons-nous les premiers temps de nos propres formations au modèle!

Comment je tente de transmettre ces notions

D’abord par l’expérimentation. Je propose un certains nombres d’exercice, de mises en situations, que je peux re-cadrer. Et puis, je propose à l’occasion des intersessions une tâche: pouvoir mettre en pratique, tester, observer. Lors de la reprise de la formation, nous commençons par une évaluation de ces expérimentations.

Il me faut aussi parler le langage des stagiaires. Par exemple, des phrases comme “ne pas être plus client que son client” devient “ ne pas être plus mobiliser que l’usager”, etc.

Il me faut pouvoir également utiliser des élément dans la vision du monde des acteurs sociaux. Ils sont plutôt littéraire et tourné vers le culturel, c’est donc là que je fais rechercher des appuis. Par exemple, pour expliquer au mieux la systémique, j’évoque d’Alexander Calder (l’homme qui a fait entrer le courant d’air dans l’art) et ses sculptures mobiles: lorsqu’un un élément commence à bouger, il fait d’abord bouger les autres éléments les plus prés de lui, puis toute sa branche, pour enfin imprimer un mouvement à l’ensemble de la structure. L’on peut également expliquer, de la même façon, comment il est possible de faire bouger un élément sans directement être en interaction avec lui. Je m’appuie aussi sur des textes littéraires afin d’éclairer certaines notions, certains outils… Je vous propose en exemples deux textes que j’aime beaucoup et que je souhaite partager avec vous. Vous reconnaîtrez dans le premier tout ce que l’on peut travailler autour de la norme, du constructivisme…etc. Le second explique, à mon sens d’une façon impressionnante, l’intérêt de parler le langage du patient.

texte n°1
Chronique des Pasquier – VII Cécile parmi nous
“Ne crois pas que nous autres, les hommes de recherche, nous soyons sûrs d’un ordre. Celui qui demande un ordre est certainement très malheureux. L’an passé, je voyais beaucoup Lehureau qui travaillait non loin de moi, à l’institut. C’est un spécialiste de la physiologie végétale. Il s’occupait avec prédilection des plantes grimpants. Quelle confusion! La plupart des plantes grimpantes s’enroulent vers la gauche, en sens inverse des aiguilles d’une montre; mais beaucoup de plantes s’enroulent en sens opposé. Pourquoi? Oui, pourquoi? Chaque espèce a son sens habituel, mais il y a des individus qui font exception. Pourquoi encore? Il y en a qui s’enroulent partie à droite et partie à gauche. Tout cela ne signifie rien à des esprits de notre sorte. Tiens, les vrilles de la vigne… Elles font six tours dans un sens, puis neuf ou dix tours dans l’autre, puis trois tours de nouveau dans le sens de leur début… J’ai cru que Lehureau en deviendrait enragé. Lui, il cherchait un ordre, il voulait trouver une loi. Mais le monde vivant n’a ni sens, ni loi! J’ai travaillé pendant deux ans à côté de Fischer qui s’intéresse aux mollusques. J’espère que je ne t’ennuie pas… Tous les coquillages, au premier abord, sont dextres, c’est-à-dire qu’ils s’enroulent dans le sens des aiguilles d’une montre. Un ordre! Voilà donc un ordre! Eh bien ! non, il existe quelques espèces dont la coquille est sénestre. Elle tourne en sens inverse. (…) Il n’y a pas d’ordre! Moi qui suis médecin, je sais des choses désespérantes. Tous nos muscles travaillent en contraction et se reposent dans la détente; mais il y en a quelques-uns pour qui c’est tout le contraire. Et ne crois pas que les astronomes soient plus tranquilles dans leur ciel. Je connaissais jadis un élève de Schulhof, un type appelé Boissonnas. Il m’a dit que toutes les planètes du système solaire tournaient dans le même sens, qui n’est pas celui de la montre, mais que la planète Uranus, ainsi que ses satellites, tournent juste en sens opposé. Quand j’ai su cela, j’ai cru, pendant deux ou trois jours, que j’allais me suicider. J’en ai parlé, vers ce temps, à une jeune fille pour laquelle j’éprouvais une certaine sympathie. Elle m’a dit : “chacun sa vie” et elle m’a tourné le dos.”
George Duhamel (Mercure de france, Paris, 1933)

Texte n°2
Les hommes de bonnes volonté – V Les superbes
“_ (…) vous avez le sentiment que les immeubles de cette provenance continuent à se vendre nettement au-dessous de leur valeur? _ Nettement. (Une des formes de la politesse de Haverkamp envers ses clients était d’user pour leur répondre, quand il était à peu près du même avis qu’eux, des mots même dont ils s’étaient servis. Il jugeait inutile, pour une nuance, de détruire l’illusion si agréable, et si favorable aux affaires, d’un complet accord de pensées. Alors que d’autres, dévorés par l’esprit de contradiction, éprouve toujours le besoin de s’exprimer autrement que l’interlocuteur, et ont ainsi l’air, à tout instant, de rectifier ses bévues, ou de lui donner une petite leçon de langage. Ce qui l’indispose, sans qu’ils s’en doutent. Chez Haverkamp, d’ailleurs, cette habileté était naturelle et répondait à son manque général de mesquinerie.)” Lorsque j’arriverai un jour à parler de l’arrêt des Tentatives de Solutions et du mouvement à 190°, je m’appuierai sur le livret de Bastien et Bastienne opéra de Mozart tiré d’un opéra français écrit par JJ Rousseau. En effet, Bastienne consulte Colas, car Bastien la délaisse. Colas lui conseille de cesser de montrer son amour à Bastien et plus encore, de feindre de l’ignorer, de le mépriser. Et comme cela est trop simple, Colas invente des salamalecs pour enrober sa prescription.
Jules Romains (Ernest Flammarion, Paris, 1932)

Conclusion

Au fond je n’ai pas le choix que d’en passer par là,  je veux dire d’insuffler des notions du regard de l’Ecole de Palo Alto durant les formations dont j’ai la charge. Tout ce que je dis, fais, tout ce auxquels je crois vient de là. Mes interventions, mes re-cadrages ne seraient pas compris par les stagiaires, s’ils n’étaient pas mis dans cette perspective, et pour cela il me faut leur donner les éléments d’appréciation.

© F. Simonot/Paradoxes

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