Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Quelques modestes réflexions sur l’utilisation du modèle de Palo Alto dans les formations au management des personnes et des équipes
Communication à la cinquième journée de Rencontre de Paradoxes, 14 octobre 2006
Gérard Poiraud, coach, formateur

Résumé : L’objectif de cette communication est d’explorer en quoi le modèle de Palo Alto propose des options pertinentes pour répondre « efficacement » aux demandes de formation au management des personnes et des équipes.
L’Intervention Systémique Brève m’a amené à revisiter les pratiques de contractualisation avec les clients, à utiliser le questionnement stratégique lors des séquences de travail des participants sur la résolution de leurs problèmes de management et à rechercher une posture « qui laisse de la place aux managers pour élaborer leurs propres réponses ». Mes propositions et mes interventions ont donc pris un autre chemin pour aider les managers à gérer les situations relationnelles qu’ils rencontrent, souvent vécues comme des problèmes : leur proposer un cadre pour expérimenter la position de manager-coach, de « manager relationnel », pour développer une attitude coopérative, dépassant le pragmatisme à court terme pour co-construire des solutions avec leurs équipes, pour faire grandir leurs collaborateurs en compétences et en implication, en confiance et en créativité.

———-

Introduction

Tout d’abord, quelques mots sur qui je suis : Gérard Poiraud, formateur-coach. La formation au management des personnes et des équipes constitue 80% de mon activité, le coaching 20%. J’exerce ce métier depuis 5 ans, en libéral, après avoir été manager à des postes opérationnels pendant plus de 20 ans au cours desquels je me suis formé à l’AT et à la PNL, pour mieux fonctionner… avec moi et avec les autres… Ma formation initiale : ingénieur agronome.
Ce que je fais ici : témoigner sur ma pratique de formateur, en quoi et comment elle a évolué et continue d’évoluer avec ma formation au modèle de Palo Alto depuis 2005 (avec l’Ecole du Paradoxe), partager quelques réflexions avec vous sur l’intérêt de l’Intervention Systémique Brève (ISB) dans une activité de formation et en discuter avec vous.

Les formations au management des personnes et des équipes

Le contexte de mon activité de formation :

Mes clients : des entreprises et des centres de formation continue pour des managers débutants ou confirmés ayant une responsabilité de direction d’équipe (hiérarchique ou projet).
Mes interlocuteurs sont généralement :
– des responsables de formation (intra)
– des responsables de centres de formation (inter)

Leurs demandes : des formations courtes – 2 à 6 jours – pour développer les pratiques du management de leurs collaborateurs, afin d’améliorer la productivité et les résultats. Expressions souvent rencontrées lors de mes entretiens avec les demandeurs : « …apprenez leur des méthodes, donnez leur des outils pour motiver leurs équipes, pour développer leurs performances, pour éviter ou résoudre les conflits, pour qu’ils sachent mieux communiquer, mieux fixer des objectifs, mieux déléguer, mieux évaluer… et bien conduire les changements !»

Les principaux thèmes abordés dans les formations que j’anime :
– établir une relation managériale permettant la confiance, le respect, l’implication, la coopération. Définir des objectifs acceptés;
– créer la cohésion de l’équipe. Accompagner son équipe en période de changement. Savoir déléguer. Communiquer efficacement. Gérer les conflits. Pratiquer des évaluations constructives…

Quelques éléments concernant le management et la formation au management :
Pas facile de penser systémique dans l’entreprise alors que l’on continue à voir le management comme une science ou une profession : fonctions et activités distinctes et autonomes, des modèles rationnels issus de Taylor = « une seule et unique bonne manière de diriger une entreprise » (one best way) et Fayol = « la capacité à diriger peut et doit être acquise, de la même manière que la capacité technique s’acquiert à l’école, et plus tard à l’atelier ».
Le management c’est avant tout une pratique. C’est surtout du métier, au sens que cela relève de l’expérience, de l’apprentissage sur le tas. Cela veut dire qu’il s’agit autant d’agir pour pourvoir réfléchir que de réfléchir pour pouvoir agir.
La performance est la raison des postes de management. Le manager doit produire de l’efficacité !
Les changements mis en place sont parfois souhaités, le plus souvent imposés et donc mal accueillis. Ces changements, de plus en plus rapides, ajoutés à la pression des résultats engendrent souvent tensions, stress, voire souffrances… qui affectent la performance.
Difficile de « fabriquer » un manager dans une salle de cours. Mais les managers existants peuvent améliorer significativement leur pratique dans une salle de formation où leur expérience alimente la réflexion.
Former au management efficace c’est permettre aux participants de renforcer leurs capacités à accompagner leurs collaborateurs dans le développement de leurs compétences et de leur motivation pour qu’ils atteignent leurs objectifs dans les « meilleures conditions ». Il s’agit donc moins de développer des connaissances que de les préparer directement à agir « mieux et autrement ». Il s’agit d’un objectif de créativité, au sens où il ne s’agit pas de reproduire des modèles mais d’être capable d’inventer les réponses les plus appropriées à chaque situation particulière en mobilisant ses connaissances et ses savoir-faire sans recourir à des solutions types.
L’outil de management que je pratique et propose dans mes formations est celui inspiré par Hersey et Blanchard et développé en France par INSEP Consulting sous le nom de Management Situationnel. Ce modèle fournit d’utiles points de repère pour se situer, s’orienter dans les diverses situations et interactions du manager avec ses collaborateurs et pour adapter un mode d’action à l’autonomie des collaborateurs.
D’où, les recettes faciles, les formules toutes faites pour régler rapidement les problèmes sont les problèmes du management, certainement pas la solution.

Dans ce contexte et avec cet outil de management, en quoi l’Intervention Systémique Brève, démarche de résolution de problèmes, peut contribuer à l’efficacité dans les organisations ?

L’application de l’Intervention Systémique Brève dans ma pratique de formateur.

Tout d’abord pourquoi m’investir dans l’application de ce modèle ?
J’avais déjà entendu parler de Palo-Alto dans mes formations à l’Analyse Transactionnelle et à la PNL, lu Watzlawick… Très séduisant, mais l’AT et encore plus la PNL me plaisaient et me rassuraient par l’utilisation d’outils un peu comme des recettes… et après tout, ne s’inspiraient-elles pas de ce modèle ? Telle situation donc tel outil !… Je caricature bien sûr… quoique… Puis le déclic : une initiation à l’ISB à Lyon en 2004, suivi de la lecture de l’Homme relationnel de Jean-Jacques Wittezaele : philosophie, prémisses et stratégie, voilà qui m’est apparu comme un modèle en cohérence avec ce que je croyais et qui pourrait me permettre d’être plus aidant vis-à-vis des managers et la résolution des difficultés relationnelles qu’ils rencontrent… d’où une formation à l’Ecole du Paradoxe depuis début 2005.

Au niveau de la contractualisation avec les clients : j ’ai aujourd’hui plus de méthode et de rigueur dans le cadrage de la demande

Expliciter la contrainte : certains participants s’inscrivent de leur propre volonté, cependant la majorité viennent plus ou moins incités par leur supérieur ou la DRH sans que cela leur ait été beaucoup expliqué, donc intervention « sous contrainte ». D’où maintenant, systématiquement j’utilise les questions « classiques » pour chercher à expliciter la contrainte : qui demande cette formation ? pour qui ? pour qui est-ce un problème ? quels sont les enjeux de l’entreprise, du -ou des- demandeur(s) ? Les participants sont-ils volontaires ? Qu’est-ce qu’ils ont à gagner ? Quels sont les risques pour eux ? Quelles sont les différents cas de figure qui conduisent à leur participation ?… Quels problèmes vous pensez que cette formation va résoudre ?

Explorer d’abord « le problème » = « co-construire » le problème avec le demandeur : « Quelle est la situation insatisfaisante aujourd’hui, quel est le problème ou quels sont les problèmes ? ». En plus, le questionnement des implicites et complété par une question qui apporte parfois d’utiles compléments « Y a-t-il autre chose d’important à savoir sur la situation d’aujourd’hui ? » Et là : trier, tester les liens, faire prioriser, concrétiser, contextualiser et faire préciser. Est-ce qu’il y a eu un ou des éléments déclencheurs qui font que vous formulez cette demande aujourd’hui ? (avant je me laissais souvent embarquer directement dans l’objectif par mes interlocuteurs, pensant que le problème était finalement peu important, l’important c’était de vouloir progresser !…).

Puis, quel est « l’objectif » de cette formation : « être capable de… », là, concernant la façon de formuler l’objectif, rien de bien nouveau pour moi par rapport à la PNL : un objectif formulé positivement, réaliste, du ressort des participants, spécifique, contextualisé, écologique. Là, je vais identifier les critères de réussite pour le demandeur qui me permettront l’évaluation de l’efficacité de la formation. Le plus ISB = négocier l’objectif après la définition du problème !

Les « tentatives de solutions » : y a t’il eu des actions menées pour développer leurs compétences en management pour résoudre ce(s) problème(s) ? Ont-ils déjà suivi ce type de formation ? Ce qui a marché et n’a pas marché ?…

Les informations sur les idées : là, je « recueille les informations sur les idées qui sous-tendent la compréhension du problème par le demandeur et ses tentatives de solution » : qu’est-ce qu’il pense de l’origine du problème (ses explications), de la façon dont il pense que la formation va aider l’entreprise (ses attentes vis-à-vis de l’intervention)…

Et pour conclure cet entretien de contractualisation, ce que je dis maintenant « systémiquement » : Nécessité d’implication des supérieurs, les managers N+1, pour que la formation soit efficace :
– « implication des supérieurs avant, pour expliquer à leurs collaborateurs qui vont participer à cette formation, le sens et les finalités de cette formation, la situation actuelle et les objectifs.
– La présence du directeur ou d’un haut responsable au démarrage, pour rappeler le sens et les finalités de la formation, ce qui est attendu.
– La présence des N+1 à la fin de la session pour entendre ce que leurs collaborateurs ont appris, leurs plans d’action et ce qu’ils attendent d’eux (N+1) pour réussir la mise en œuvre des plans d’action. »

Flexibilité des moyens : « Tout en restant centré en permanence sur l’atteinte des objectifs de cette formation, en fonction des besoins et des caractéristiques plus spécifiques identifiés dans le groupe, je précise que je garde une marge de manœuvre sur les moyens utilisés pendant le déroulement de la session… pour mieux en atteindre les objectifs. »

Pour aller plus loin : chercher à rencontrer avant les futurs participants et leur supérieur pour que N+1 expose les raisons de cette formation, pour qu’ils échangent sur leurs attentes. La formation serait ainsi bien « située », en rapport direct avec les objectifs de la hiérarchie. Cela permettrait de préciser ensemble les objectifs de l’intervention à la fois pour moi et pour les participants…

Apport de l’ISB dans la réalisation de la formation

D’abord adopter une posture : c’est là où l’ISB m’a le plus particulièrement « chahuté », quand nous avons abordé la question de la posture ! L’ISB m’a interpellé sur mon positionnement, l’esprit dans lequel j’intervenais dans le système « Entreprise »…

Avant (et même encore…), ma tendance forte était la suivante : un problème => une solution ! Donc écouter pour comprendre le problème et l’objectif, puis proposer la technique, l’outil qui va permettre de résoudre le problème ! J’ai pris conscience combien souvent par ma voix, mon attitude, je me posais en expert, « celui qui sait »… Avec ce type de posture, j’avoue que je n’étais pas toujours à l’aise, quoique… ce sentiment d’avoir toujours la solution, d’avoir raison… Un exemple : quand j’intervenais sur le thème « Comment pratiquer des délégations réussies »…, « Bougez pas, je vous explique… ». Bonjour l’implicite, bonjour la modélisation !

Maintenant, j’ai évolué en termes de posture, même si c’est encore loin d’être excellent… Je cherche à travailler à partir des problèmes de management rencontrés par les participants non plus en apportant la solution mais « en proposant » comme le dit le modèle tel que nous le présente l’Ecole du Paradoxe, en étant vigilant d’émettre à partir de la pensée « Vous avez la solution et si vous ne l’avez pas encore vous pouvez/nous pouvons la trouver ensemble ». Mon rôle recherché dans ces formations au management : être un facilitateur, il est plus important d’encourager que d’enseigner stricto sensu. Le management, lui aussi, est largement une activité de facilitation ! Facile à dire et à écrire… nettement plus difficile à pratiquer… sacré non-verbal… !

Je cherche donc, en reprenant les enseignements de l’Ecole du Paradoxe, à proposer au participant de se positionner par rapport à son problème, et avec tous les autres participants, nous cherchons à lui proposer de nouvelles façons de voir les choses, de réfléchir à certains sujets, d’observer certaines situations, de faire certaines expériences, notamment pendant les intersessions. « Et c’est cette posture qui garantit que ces propositions sont bien des propositions, que le participant se sent libre d’accepter, de modifier ou de refuser et non pas des injonctions ou d’habiles suggestions subliminales » (I. Bouaziz).

Pour garder l’exemple du thème de la délégation, je traduis maintenant cette recherche de posture en commençant par écrire l’objectif « Comment pratiquer des délégations réussies », puis sur un premier paperboard « mes besoins » et sur un second « Ce que j’apporte ». Ensuite, je propose une co-animation par deux participants pour que « nous » co-construisions les réponses dont ils ont besoin pour réussir leurs délégations et me place parmi les participants. Je dis « nous », au sens ou ma parole est « dedans », sans plus : j’exprime aussi « des besoins », « j’apporte » une façon de procéder dans un cas concret. Puis nous débriefons sur le processus et ensuite je les invite à voir comment maintenant ils vont concrètement pratiquer la délégation avec leurs équipiers. Dans ce processus, je suis attentif aux questions que je pose pour ne pas influer sur les réponses, je veille au maximum à m’abstenir d’approuver tel ou tel apport, tel ou tel objectif, telle ou telle solution, pour faire passer le message « Vous êtes compétent, vous seul pouvez décider ce qui est bon dans votre situation », l’intention est de modéliser la délégation, de modéliser « le manager arrête de porter… », simple… et je ne trouve pas ça toujours facile… mais j’ai la conviction que c’est une posture « puissante » pour permettre aux participants de progresser, de changer, d’acquérir des clés opérationnelles adaptées à leurs situations, de devenir autonomes !

Utilisation du modèle de Palo Alto pour résoudre les problèmes de management rencontrés par les participants

Lors des différents thèmes abordés dans mes formations, il s’agit de permettre aux participants de résoudre leurs problèmes relationnels dans la gestion de leur équipe et de leurs équipiers pour permettre le développement de l’organisation et le développement des personnes. Et là, pour aider les participants à trouver leurs solutions aux problèmes de fixation d’objectifs, de conflit, etc., le questionnement stratégique, par sa rigueur et sa pertinence m’apporte beaucoup « d’efficacité ».

Je parle bien sûr de la grille du modèle : repérer le contexte : « le comportement d’un individu est la résultante d’une adaptation à un contexte », distinguer les deux niveaux de la communication : l’implicite et l’explicite, l’indice et l’ordre, Recueillir et classer les informations : les faits et les idées, La stratégie du questionnement Les recadrages

Mes réflexions sur plus d’utilisation du modèle dans des formations au management
a) La réunion tripartite : je l’ai déjà évoqué, je pense qu’il y a là une possibilité de renforcer l’efficacité des formations, de diminuer les frustrations de certains participants… Le N+1 expose problème, objectif (et ce qui se passe si objectif non atteint) Le formateur demande aux N ce qu’ils en pensent, Le collaborateur se positionne ; adhérer, modifier, refuser Problème : concrètement, je n’ai pas encore trouvé la solution… mais je cherche ! Je ne suis pas au bout de mes tentatives de solution…
b) La conception de la formation au management : c’est permettre aux gens de s’approprier des façons d’agir, de telle sorte qu’ils n’aient plus besoin de nous. Il s’agit donc de « leur fournir un contexte ». Comment aller plus loin avec la stratégie du modèle, son questionnement stratégique ? Est-ce possible de former à cette stratégie dans le cadre de formations au management ? Si oui, comment procéder ?…
c) Jusqu’à présent Management Situationnel et modèle de Palo Alto m’apparaissent en complémentarité : au Modèle = la stratégie d’intervention paradoxale et au Management situationnel = l’outil… Est-ce cohérent ? Confusion de niveau ? Je ne pense pas, mais c’est quelque chose que j’ai besoin d’approfondir…
d) Je pense que prémisses systémiques et constructivistes et stratégie paradoxale associés à la posture permettent d’aller au delà de l’utilisation d’outils et, par ce qui se passe durant la formation, permettre aux participants de développer des attitudes coopératives, ouvertes sur les autres, admettre la diversité des points de vue, respecter les intérêts et besoins de chacun… attitudes sur lesquelles ils peuvent réfléchir afin de formaliser comment ils vont pouvoir la mettre en œuvre concrètement avec leurs équipes, dans leurs situations.

Conclusion

Le modèle de Palo Alto pour développer un « management relationnel »
Les managers ont encore souvent comme réflexe quand ils sont confrontés aux problèmes relationnels de leurs équipes, aux situations de changement, de procéder à une analyse détaillée des problèmes rencontrés pour élaborer les meilleures solutions technico-économiques.

Le modèle de Palo Alto permet de se repérer pour développer une vision plus « systémique », non normative des problèmes relationnels de l’entreprise, pour renforcer la coopération dans les équipes afin de co-construire au quotidien des solutions aux problèmes rencontrés. Ce n’est pas le seul modèle! Mais personnellement, je trouve que son approche et ses prémisses permettent d’adopter une posture et de fournir une stratégie qui permet de redonner de la souplesse au système, de changer les relations interpersonnelles, de développer plus de respect, plus de fluidité dans les interactions, donc plus d’engagement et de créativité et d’efficacité pour le développement conjugué des organisations et des hommes. Ce modèle, parce qu’il amène à voir les difficultés sous l’angle de la relation et non sous l’angle des personnes, parce qu’il responsabilise, peut permettre d’améliorer respect, coopération, feedback, délégation, communication, confiance, attitudes face au changement… autant de facteurs en lien direct avec l’efficacité et la permanence.

J’ai la conviction que ce modèle efficace, exigeant, rigoureux et respectueux offre des champs de progression importants dans le fonctionnement des équipes pour « plus de performance et plus d’humanité », en dépit, parfois, de ses difficultés de mise en œuvre, du moins pour moi !

© G. Poiraud/Paradoxes

Share This