Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la sixième journée de Rencontre de Paradoxes, 20 octobre 2007
Docteur Georges Elkan, pédopsychiatre

Cette communication est un voyage de 1992 à 2007 avec des étapes, de brèves histoires et des questions autour de la découverte de la thérapie brève par un psychiatre qui en ignorait tout. Comment cette approche thérapeutique va-t elle imprégner et modifier sa pratique ? Comment la thérapie brève peut-elle être reçue par des professionnels d’institutions structurées autour d’autres approches théoriques ?

Georges Elkan 2007 © Paradoxes

Georges Elkan 2007 © Paradoxes

Nous sommes en 1992, dans le train qui nous ramène vers Paris, Irène Bouaziz me voit lire les romans de Colette dans la Pléiade. Nous travaillons dans le même hôpital de province. Je viens d’y débuter dans mon premier poste de praticien hospitalier. C’est en psychiatrie pour adultes.

Je suis parisien et plutôt formé à la psychiatrie infanto-juvénile. Mais je suis arrivé encore quelques années trop tôt dans la carrière hospitalière : il y a alors plus de psychiatres que de postes et c’est presque traditionnel de commencer par la province et en psychiatrie adultes. Ca donne l’occasion de prendre souvent le train, de lire et surtout de discuter avec les collègues dans la même situation.
Irène interrompt ma lecture, je ne sais plus si elle me demande des nouvelles professionnelles ou si elle se préoccupe plus directement de mes lectures. Elle doit savoir que je suis encore en analyse. Je ne lui dis pas que c’est avec une Jungienne. Ca ne se fait pas dans notre hôpital où l’on pense plutôt à travers Lacan. Elle ne me dit pas qu’elle est en train de terminer une formation à l’hypnose éricksonienne, elle se rend bien compte que je suis très loin alors de pouvoir considérer l’hypnose en dehors du traditionnel cadre de l’hystérie.

Je ne sais plus comment elle en vient à me parler de ce qu’elle trouve peut-être suffisamment rationnel pour que je ne me sauve pas : les thérapies stratégiques. Je ne dois pas comprendre exactement de quoi il est question mais je note quelques conseils de lecture.
Je me procure Changement de Watzlawick Weakland et Fisch dans ma librairie habituelle. La libraire paraît un peu surprise, ça ne correspond ni à mes achats habituels ni peut-être à ce qu’elle estime honnête de vendre. Comme ce n’est pas illégal et qu’elle y trouve son bénéfice, je peux partir avec le livre.

Je commence le livre dans le métro et je ne le quitte pas avant de l’avoir terminé ce qui ne m’arrive jamais avec les livres de théorie. Je suis à la fois surpris et entraîné par ce texte dont je conçois sans effort ce qu’il expose avec beaucoup de prudence et de douceur. Comme en plus je réussis le problème des 9 points et 4 lignes, je suis encouragé à lire d’autres textes avec le petit espoir de trouver d’autres jeux.
Je me mets rapidement à Tactiques du changement de Fisch Weakland et Segal puis à Langage du changement de Watzlawick. Colette cependant continue de m’accompagner pendant les trajets en train.
Ces théoriciens de la thérapie brève parlent d’une façon d’être avec les patient et d’envisager leurs problèmes qui me paraît à la fois compatible avec la pratique tout en confortant des attitudes pas si fréquentes alors parmi les psychiatres comme le respect de la façon de voir de l’autre, l’attachement à ce que le patient définisse lui même ce qui pose problème. Ce dernier point est loin d’être évident et constitue une des principales particularités de la Thérapie brève.

Dés le début, ce qui fait l’originalité de la thérapie brève par rapport à ce que je suis habitué à faire me paraît aisément compréhensible et sensé. Mes lectures me poussent à tenter un questionnement plus précis mais aussi plus ouvert de mes patients. Je ne vais pas alors plus loin dans l’utilisation du schéma stratégique.

Je crois que c’est début 1993 que je découvre qu’il existe une formation à la thérapie brève qui va démarrer à Paris. C’est animé par des gens qui viennent de Belgique et me sont totalement inconnus. Je m’y inscris avec Irène J’y vais avec appréhension car si la théorie des livres m’a été facilement assimilable, le changement de pratique en germe dans une étude plus approfondie de ce schéma thérapeutique me semble potentiellement très inconfortable. Je vois mal alors comment il peut s’intégrer à mon travail de psychiatre institutionnel.

Je découvre J.J. Wittezaele Claude Seron et T. Garcia dans des salles de séminaires assez sinistres qu’ils louent près de la Porte de la Chapelle. Ils changeront avec raison à plusieurs reprises de lieux dans les années qui vont suivre. Nous sommes deux médecins dans un groupe de 10 stagiaires. Je me sens un peu perdu parmi ces personnes qui exercent dans des domaines qui me sont alors encore plus mystérieux qu’aujourd’hui. Il y a des consultants en entreprise, des coaches une sexothérapeute non médicale… Je vais pouvoir expérimenter très vite ce que sont des visions du monde et des langages sans beaucoup de rapports avec les miens. Si j’ai depuis un peu progressé dans mes capacités anthropologiques, j’avoue que ce dont parlent tous ces professionnels me reste mystérieux avec un côté prestigieux et même fantastique. Je les vois exercer au plus haut niveau d’entreprises multinationales et ce que je comprends aujourd’hui de leur monde doit être encore bien éloigné de ce qui s’y vit.

Donc les gens de l’Institut Gregory Bateson nous exposent au cours des séances les prémisses de la thérapie brève. Ils ont commencé par replacer leur enseignement dans un contexte historique de recherche dont la corrélation avec la pratique me semble alors un peu artificielle. Depuis que je ne cherche plus de corrélation, cette impression des débuts s’est évanouie et je me trouve aujourd’hui face à un tout plutôt harmonieux.

Jean Jacques Claude et Teresa nous permettent aussi d’expérimenter dans des jeux de rôle ce qu’est un questionnement stratégique et combien il est difficile au client de définir le problème. En accueillant par la suite les stagiaires à Liège, ils accentueront la dimension pratique de leur formation.

A l’hôpital, j’hésite au moins un an après le début de la formation à l’IGB à tenter la thérapie stratégique dans une prise en charge. Le premier essai sera pour une dame d’une quarantaine d’années hospitalisée pour un syndrome dépressif sous tendu par une mésentente dans son couple. Elle reçoit un traitement médicamenteux qu’elle tolère très mal puisqu’elle manifeste un à un tous les effets indésirables dont je l’ai avertie. Même avant que soient formalisés les droits des patients, je me suis toujours senti obligé de les informer le plus loyalement possible en restant compréhensible sur les avantages et les risques de leurs traitements.

Du point de vue psychiatrique d’alors, cette dame devient hystérique en plus de déprimée. Comme elle est serviable et tient à l’estime de l’équipe qui lui a offert tant de diagnostics, elle se met même, un matin pendant qu’a lieu la réunion, à accoucher allongée par terre devant la salle de réunion. C’est un accouchement difficile au terme d’une grossesse d’une semaine. Le service est hilare. Le psychologue ne manque pas de me féliciter pour la paternité symbolique de cette grossesse nerveuse. Le chef de service me prie d’avancer la sortie de cette dame très bruyante et pas si déprimée.

La dame revient quelques jours plus tard suite à une nouvelle tentative de suicide.

Elle est mal venue dans le service et je crains d’aggraver encore ses difficultés si on le lui fait trop sentir. Une infirmière participe alors toujours aux entretiens patient-psychiatre. Je ne vais pas lui détailler comment je vais tenter de modifier le cours des entretiens, je crois que je lui ai parlé de l’intérêt de s’attacher aux aspects concrets de la situation. Il ne sera pas officiellement question de thérapie brève.

Grâce au style de questionnement plus précis mais aussi plus ouvert à sa façon de voir les choses, la dame cerne progressivement son problème après quelques entretiens.

Elle passe beaucoup de temps à s’occuper de son foyer et son mari y semble complètement indifférent. Elle dit que c’est d’autant plus pénible qu’il lui a demandé d’abandonner il y a des années son travail d’aide soignante pour donner son temps à son fils et aux tâches ménagères. Son fils maintenant adulte est parti de la maison.
Je ne parle plus de dépression avec elle mais je dois bien continuer à le faire avec l’équipe qui n’accepterait pas qu’on hospitalise des gens pour des problèmes domestiques. Ma difficulté à faire partager par ceux qui travaillent avec moi ce qui se fait pendant la thérapie brève alors qu’ils sont attachés à leur pratique, leur formation et leur vision du monde est alors évidente. Après toutes ces années, je n’ai pas résolu complètement ce problème, je l’ai mis de côté en me conduisant en anthropologue avec les collègues qui ont une vision différente de la mienne.

Je reviens à la dame. Elle veut obtenir la reconnaissance de son mari en consacrant de plus en plus d’efforts à son travail de femme à la maison, il ne s’en rend pas compte et elle dit que ça la déprime. C’est à cette occasion que je vends mon premier recadrage sur le rôle positif de la dépression pour la mettre à l’abri d’une situation où elle s’épuise. Cela apporte un soulagement relatif en diminuant le sentiment de culpabilité dont elle se plaint aussi. L’infirmière qui assiste à l’entretien trouve que ce n’est pas idiot. A mon étonnement, ça passe.

Mais je m’égare un peu puisque le problème de la dame, ce n’est pas la dépression mais l’absence d’estime du mari. Je reçois aussi le mari. Il ne supporte plus que sa femme lui reproche de ne pas lui prêter attention, qu’elle soit toujours fatiguée et triste alors qu’elle est si favorisée puisqu’elle n’a pas besoin de travailler et qu’elle pourrait faire tant de choses intéressantes. Ensuite, les plaintes du mari se précisent : elle pourrait se lever un peu plus tôt pour que le ménage soit au moins fini le soir, elle ne cuisine plus, elle dit qu’elle n’a plus le temps que de faire réchauffer des surgelés… Enfin, il m’apprend qu’ils font « chambre à part » depuis deux ans et n’ont plus de relations sexuelles.

J’ai l’impression de m’épuiser au milieu des plaintes quand Teresa me conseille de me concentrer sur le problème de la dame, ma cliente, et sur la façon dont elle voit la situation.
C’est dans ce contexte que j’ai l’impression de ne pas maîtriser que je prépare la première tâche de ma carrière. Il me semble que la dame tente de résoudre son problème par une hyperactivité perfectionniste. Puisque son mari ne reconnaît pas tous ses efforts pour rendre la maison agréable, je lui dit qu’il serait intéressant de voir ce qu’il perçoit de ce qui se passe à la maison. Ne pourrait-elle faire exprès de saboter quelque chose dans la tenue de la maison lors de la prochaine permission, mais pour que ça marche, il faut que le ménage soit irréprochable par ailleurs. Mon intention est d’empêcher les tentatives de solution par une double contrainte thérapeutique du genre « soyez spontané ». La dame paraît amusée par ce que je propose.
A son retour de permission elle a pour une fois l’air satisfait de son week end cependant, elle m’apprend un peu gênée qu’elle n’a pas accompli la tâche. Son infirmière me rapporte qu’elle lui a confié avoir eu une relation sexuelle avec son mari pour la première fois depuis des mois.

Je découvre une des particularités des tâches, du moins quand je les prescris, elles sont très rarement effectuées, mais quand elles sont acceptées, un recadrage s’opère qui amène un changement, même si ce n’est pas toujours celui attendu.

La dame peut quitter l’hôpital dans la semaine. Elle est après cela suivie en consultation par une collègue. Elle ne se plaint plus des relations avec son mari et supporte une dépression qui ne va pas l’empêcher de reprendre un travail d’aide soignante.

L’histoire s’intègre dans un vaste réseau d’interactions dont il n’est pas possible de recenser tous les intervenants qui débordent largement le cadre de la famille : les voisins, les amis, l’équipe et les patients du service doivent au moins être pris en compte si l’on tente d’analyser ce qui se passe d’un point de vue systémique réaliste. Je me résous à ne pas comprendre tout ce qui se passe et à constater que la situation qui tournait en boucle avec les mêmes problèmes et les mêmes tentatives de solutions toujours utilisées s’est modifiée, ouverte vers autre chose.
L’équipe hospitalière m’a vu m’installer dans la pratique de la thérapie brève. C’est surtout le questionnement concret et adapté au système de valeurs et au langage du patient qu’ils ont remarqué et se sont un peu approprié le temps que nous avons travaillé ensemble. Ils sont cependant restés attachés aux conceptions analytiques qui étaient aux fondements du service et dont l’acquisition du vocabulaire et des concepts leur avait demandé de très grands investissements.

En 1995, je « bouge » pour la région parisienne, d’abord dans un service de psychiatrie pour adultes. En changeant d’institution, je m’éloigne d’amis précieux sans gagner beaucoup quant aux possibilités de partager ma pratique thérapeutique.
Dans le service de psychiatrie adulte, j’exerce dans ce que nous appelons « l’extra hospitalier », c’est à dire les structures qui ne reçoivent pas les patients à temps plein. Il s’agit d’un centre médico psychologique (c’est à dire un lieu de consultations), d’un hôpital de jour où des patients qui habitent chez eux viennent vivre dans la journée, et d’un centre d’activités thérapeutiques à temps partiel. Là, des patients parfois encore plus accaparés par leurs hallucinations que ceux de l’hôpital de jour, viennent partager pendant des temps assez brefs des activités plutôt artistiques. A défaut de prendre en compte ce que les psychotiques disent (c’est eux qu’on accueille surtout en psychiatrie publique) on leur propose d’adopter l’art comme langage commun. Les soignants prennent cela très au sérieux, les patients avec patience, bienveillance et talent souvent, amusement parfois.

La tradition de cette institution est ici aussi psychanalytique avec en plus des affrontements internes entre différentes mouvances.
En consultation, je continue à faire selon le pli que nous donne la référence à la thérapie brève stratégique. Je respecte la vision du monde des intervenants institutionnels et utilise leur langage. Et puis les problèmes des patients sont si préoccupants que cela rassemble les soignants autour d’objectifs concrets et nous aide ainsi à travailler ensemble malgré nos divergences.
Je suis même assez vite surpris par l’aisance avec laquelle les collègues analystes utilisent le paradoxe et les recadrages. Ils prennent plaisir à partager leurs astuces qu’ils décrivent comme compatibles avec une bonne pratique analytique.

Une des collègues psychologues me demande de recevoir, pour que je lui « prescrive un traitement médicamenteux » B., un jeune homme qu’elle suit depuis quelques mois.
Il a 20 ans et habite avec ses parents et son frère aîné, 23 ans, étudiant « doué » en mathématiques. B. n’est pas doué. Il a suivi une scolarité spécialisée en IMP puis IMpro, ça correspond à un enseignement pour handicapés mentaux. Il a commencé à travailler dans un centre d’aide par le travail (c’est une structure qui offre des emplois adaptés aux personnes handicapées). Il a vite arrêté tant il se sentait angoissé dans ce milieu dont il n’arrivait pas à comprendre le fonctionnement social.
Son langage est étrange par sa précision et son absence de modulation. Ses intérêts sont répétitifs et il ne semble pas sensible à l’ennui qu’ils peuvent provoquer chez ses interlocuteurs. En fait, il est autiste.
Mais ce n’est pas son problème actuel. Retourner travailler n’est pas non plus un problème puisqu’il considère qu’il n’en est pas question et que ça lui va comme ça. Le problème, c’est son grand frère qui ne veut plus lui parler. Pour la psychologue, le problème c’est la dépression : « il pleure comme un veau à chaque fois qu’il vient, et il bave » explique-t elle désolée.

Je vois les parents. B. peut rester à la maison, ça ne les gêne pas. Il commence à recevoir l’allocation pour adultes handicapés, c’est peut-être qu’il ne pourra pas travailler. Le problème, c’est qu’il ne laisse pas son frère si doué étudier. Ce dernier est contraint de s’enfermer dans sa chambre pendant que B. reste assis devant sa porte en pleurant et en ne cessant de lui demander si ça va.
Je ne prescris pas de médicament à B.. C’est mal vu de désobéir aux psychologues mais je m’en sors en disant la vérité : je ne comprends pas ce qui se passe. Je revois B. à plusieurs reprises. La prescription de symptômes échoue car sa logique le rend très consciencieux. Il fait scrupuleusement tout ce qu’on programme ensemble.

Je lui demande vite d’arrêter car son grand frère réagit avec des colères de plus en plus violentes. Il s’est même mis à parler tout seul me dit B. qui avec moi, entre parenthèses, ne pleure jamais.
Je tente de questionner sur le plus petit signe qui montrerait que ça va mieux avec son frère mais il ne comprend pas ce que j’essaie de dire.
Nous nous lançons dans une tâche d’observation. On convient, ce qui apparaît de plus en plus évident, que son grand frère a un souci et qu’il serait important qu’il note ce qu’il dit et ses réactions pour mieux pouvoir l’aider. Il lui demandera comment ça va comme il fait d’habitude puis notera ce qui se passe.

Cette tâche lui plait. Il aime écrire. Il est en train par ailleurs de rédiger le calendrier de toutes les années à venir. J’attends un recadrage de la situation. J’espère qu’il va passer de plaignant à aidant attentif. J’espère aussi qu’écrire va lui permettre de freiner ses interrogations incessantes.

B. vient la fois suivante avec ses parents. Il ne pleure plus à la maison, pourtant il me dit que ça va très mal. Il n’a pas réussi à faire le travail d’observation correctement parce qu’il n’arrivait pas à demander à son frère comment il allait. Il n’y est pas arrivé car son grand frère parle tout seul. Il a noté ce qu’il a compris et qui semble traduire un syndrome délirant flou avec des thèmes mystiques et persécutifs et probablement un fond hallucinatoire. Les parents sont d’autant plus inquiets qu’ils sont sans nouvelles de leur aîné depuis qu’il est parti pour la fac la veille. Le grand frère est hospitalisé d’office, c’est à dire sur décision du préfet, peu après, suite à son arrestation sur le parvis d’une église où son comportement étrange et désorganisé avait attiré l’attention.

B. était donc normalement inquiet et c’est son entourage qui se comportait de façon peu adaptée, y compris les soignants du centre médico psychologique. La position que permet la thérapie brève a au moins permis de tenir compte de ce qui le préoccupait et d’éviter des attitudes thérapeutiques inadaptées.

Ce n’est pas ainsi que l’ont théorisé ensuite les psychanalystes du service. B. continue son travail avec sa psychothérapeute qui ne se plaint plus de le voir baver et pleurer.

Pour les collègues de ce service, j’ai l’impression que la thérapie brève est restée un pauvre moyen de défense contre l’essentiel vers quoi tendent les techniques analytiques. Je crois qu’ils ont persisté à comprendre qu’il s’agissait d’une thérapie comportementale.

J’aimerais souligner qu’il n’est jamais évident de transmettre des informations. D’une part nos mots risquent de transmettre des idées qui diffèrent de celles qu’on a conçues, d’autre part, le système de référence et de pensée de notre interlocuteur risque de faire encore évoluer la signification de nos mots.

J’ai travaillé 5 ans dans ce service pour adultes. Depuis 2000, je suis en pédopsychiatrie dans le même hôpital.

Je travaille uniquement en consultation dans un CMP, avec une équipe réduite et unie autour d’une pratique de groupe psychanalytique tout à fait tolérée dans un service par ailleurs fortement orienté vers la thérapie familiale.

Les concepts systémiques ne devraient donc pas être reçus avec trop d’étonnement, cependant, l’aspect paradoxal de la thérapie brève n’est pas compris ou reste étrangement assimilé aux thérapies comportementales. Ceci a l’air également vrai avec les collègues thérapeutes familiaux que je côtoie dans le service en dehors de la petite équipe du CMP.

C’est pendant cette période qu’avec Irène Bouaziz, Chantal Gaudin et Manuela Guillot, nous créons l’association Paradoxes. Ce point de référence m’aidera à éviter la dispersion et la dilution de ma pratique hors du cadre de la thérapie brève.

Au cours de nos manifestations associatives, quand je me laisse approcher sans baisser les oreilles ni montrer les dents, il arrive qu’on me demande comment je fais pour travailler avec le modèle de la thérapie brève au milieu de collègues qui se réfèrent à d’autres théories.

Je crois l’avoir un peu décrit à travers les vignettes que je vous ai racontées. Je voudrais dire aussi en réagissant au terme « modèle » que j’apprécie aussi la thérapie brève dans la mesure où je ne la considère pas comme un modèle puisqu’elle ne prétend pas trouver d’explication aux problèmes qu’elle traite. Ca pourrait être un outil, mais si son maniement demande de la précision, les résultats de son utilisation sont difficilement prévisibles. Ca permet, quand ça fonctionne, que les systèmes évoluent là où ils tournaient en boucle, le mouvement redevient possible mais ce n’est pas sous notre contrôle.

Depuis deux ans, je participe à un groupe qui réfléchit au phénomène de la transe hypnotique. J’interviens très peu lors de ces réunions. J’aurais des sottises à y dire mais ma lenteur intellectuelle ne me donne pas le temps de les concevoir au bon moment : je pense encore moins vite que je ne parle.

Toujours est il que depuis que je m’intéresse plus à l’hypnose, il me semble que je parviens à être de plus en plus anthropologue et bienveillant devant la vision du monde des collègues. Elle ne me heurte plus, en retour, il n’y a plus à légitimer ma pratique. Ca simplifie la vie institutionnelle.

Le schéma de la thérapie brève est maintenant intégré à mon exercice. L’utilisation bienveillante du paradoxe passe maintenant plus naturellement. Les métaphores aussi arrivent plus volontiers à leur heure.

Je m’abstiens d’utiliser volontairement l’hypnose mais elle est parfois là au cours des consultations. C’est le cas pour L. qui a 9 ans. Il vient accompagné de sa mère pour des attaques de panique. L. parle avec beaucoup d’aisance et explique qu’il se revoit en vacances avec son père au bord de la mer et qu’à cette image est associé un malaise grave dont il a vu souffrir son père à cette occasion. Alors il sent battre son cœur très fort et n’arrive plus à respirer.

Je le vois en présence de sa mère qui dit comment elle l’aide en lui permettant de, entre guillemets, « verbaliser sa souffrance ». Cependant, elle se plaint que ces crises d’angoisse reviennent. Pour L., c’est plutôt l’image de son père très malade qui pose problème.

Lors de la troisième consultation, alors qu’il ressasse encore cette image, il commence une attaque de panique. Malgré l’inquiétude de sa mère, je ne cherche pas à le rassurer, je ne suis pas inquiet moi même. Je lui demande où il est.

Son rythme respiratoire se ralentit, d’une voix un peu monotone au débit plus lent que d’habitude, il décrit une plage, un parasol, un gros ballon, un transat. Il se sent très inquiet. Je lui demande de regarder encore ce qu’il y a autour de lui. Il dit du sable, encore des ballons, un autre transat. Il se sent toujours très inquiet. Et plus loin ? est la seule intervention qui me vient. Plus loin, des petites maisons où on vend des glaces. Personne d’autre que lui. Et en regardant ailleurs ?

Il y a un chemin, il s’y dirige puis le suit, il arrive à un parking son père l’attend dans une voiture. Je lui demande comment est l’inquiétude. Elle est partie. Nous le laissons revenir à son rythme de ce paysage. Je ne trouve rien à faire d’autre qu’une profonde inspiration. L. et sa mère font de même, nous sommes synchrones.

Je reverrai L. à trois reprises à quelques mois d’intervalle, une fois avec son père et deux fois avec sa mère. En dehors de son impertinence, on ne lui reproche plus rien. Il n’y a plus eu d’attaque de panique. On met fin aux consultations à la demande de L.

C’est assez bref comme prise en charge. Ca a commencé comme une thérapie brève jusqu’à ce que L. se mette à vivre, quand ça lui a convenu, cette expérience de transe hypnotique dont la possibilité lui était ouverte, sans plus.

Il arrive ainsi que mes consultations s’évadent et que je me contente de les suivre. Je m’en sens d’autant plus la liberté que les parents sont présents et lâchent également prise. A posteriori, leur absence d’étonnement m’étonne.

C’est le cas avec S., une petite fille de six ans que j’ai déjà vue plusieurs fois parce qu’elle n’arrive pas à se concentrer en classe. Son problème, c’est tout autre chose. Il y a des voix méchantes mais aussi des voix gentilles qui parlent dans sa tête. S. a par ailleurs un très bon contact, sa pensée est tout à fait cohérente, elle a des copines, elle ne montre en dehors de ces étranges hallucinations, aucun signe évocateur d’une rarissime schizophrénie infantile.

Lors d’une consultation, elle dessine un train puis son activité semble se suspendre. Je lui demande où va le train. « Il passe dans ma tête, il s’est arrêté, les messieurs et les dames y montent, le train s’en va ». Je vois S. encore pendant quelques mois. Elle peut consacrer plus d’attention à la classe, elle affirme que les voix ne sont pas revenues.

Cet emploi libre de l’hypnose que les deux enfants se sont approprié est assez rare lors de mes consultations.

L’hypnose peut s’intégrer dans le cadre de la thérapie brève dans la mesure où celle-ci cherche à permettre au client d’utiliser ses ressources propres pour que sa situation évolue. C’est en partie dans ce sens que les fondateurs de la thérapie brève se sont intéressés à Erickson. Son aisance à utiliser le paradoxe dans ses stratégies thérapeutiques les fascinait aussi peut être.

Vous voyez combien ce qui se passe avec L. et S. paraît loin de l’aspect très stratégique et travaillé de l’hypnose éricksonienne.

En fait, je pense que c’est suite à la définition de leur problème au terme d’un questionnement stratégique qu’ils se sont trouvés en situation d’utiliser cette potentialité thérapeutique que je crois disponible chez chacun.

Nous voilà au terme de ce voyage de quelques années. Vous pouvez constater qu’on peut être thérapeute bref même quand les collègues se réfèrent à des approches différentes. C’est d’autant plus réalisable que la thérapie brève nous prépare à être attentifs à la vision du monde des autres. Alors, on a la surprise parfois de voir évoluer les collègues vers sa façon de voir. Ils pourraient se hérisser si on le leur faisait remarquer. Mais pourquoi créer des problèmes?

© G. Elkan/Paradoxes

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