Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Le cas d’Antoine, un tricotage palo-altien ou que savons-vous vraiment de la façon dont ça marche ?
Communication à la farandole de la neuvième journée de Rencontre de Paradoxes, 16 octobre 2010
Francine Pierre, psychologue

L’histoire thérapeutique choisie est loin d’être la plus passionnante parmi toutes celles que ma pratique m’offre comme exemples, mais elle a le mérite d’être courte, puisqu’elle se décline sur trois séances avec l’intéressé, que j’appellerai Antoine, avec en « extra » un entretien avec sa mère.
Outre l’adéquation au format court à l’exposé demandé pour cette « farandole », il m’a semblé intéressant d’essayer de donner un aperçu du « tricotage » Palo-Altien qui s’est mis en place, j’allais dire presque tout seul, avec ses effets recadrants et le déclenchement automatique du changement qui s’en suit. C’est que, une fois les principes fondamentaux de Palo-Alto intégrés, digérés, la thérapie semble avancer d’elle-même : j’en suis moi-même le témoin toujours surpris, tout en sachant que mon rôle va plus loin que celui de simple témoin. Ce que j’appelle le « tricotage » fonctionne à deux niveaux : le niveau conscient, réfléchi, à partir de la « grille thérapie brève » et des tactiques de changement mises en place : les différentes facettes de l’approche de Palo Alto s’entrecroisent et se complètent avec toute la gamme d’interventions qui s’échelonnent, pour le dire vite, du pôle plutôt « batesonnien » au pôle plutôt « ericksonnien ». Mais la trame ainsi tricotée manquerait peut-être de solidité, ou serait-elle incomplète, ou carrément inconsistante sans un deuxième niveau, celui qui intervient comme en « voix off », de manière non réfléchie. En voici une tentative de description à travers le cas d’Antoine.

Francine Pierre© 9eme Rencontre de Paradoxes

Quelques rangs à l’endroit
1.    La vision systémique

Antoine, au moment où je le vois, en juin 2010, vient d’échouer une nouvelle fois à son examen de fin de troisième année de médecine, qu’il redoublait. Ses parents, pharmaciens, sont consternés. La mère, que j’ai eue comme cliente pour l’aider à surmonter son stress, est très anxieuse au sujet de son fils. Antoine est sous le choc de son échec, et ressent une honte immense. Sa confiance en lui est au degré zéro. « J’ai pris une grande claque », me dit-il. Ce qui le perturbe le plus, c’est de constater que l’auto-estimation de son travail était erronée : il croyait être au point, mais en réalité n’avait pas suffisamment travaillé. Je l’écoute et je le vois, ce jeune homme, défait, accablé. Nous réfléchissons ensemble, les mots se croisent. Je parle de sa blessure d’amour-propre, et il semble un peu soulagé que ces mots là soient mis sur son mal être. Et puis, quel est le sens de ce nouvel échec, qu’en pense son entourage ? Et là, il lâche : « Ma mère a toujours été trop protectrice à mon égard ». Fort bien, l’aspect systémique du problème s’impose à moi, et j’axe mon intervention sur l’hypothèse d’un effet désastreux des doubles messages envoyés involontairement par sa mère :

1-    Je te dis ce que tu dois faire pour ton bien et parce que je t’aime
2-    Je te dis ce que tu dois faire parce que tu n’en es pas capable par toi-même
Un silence suit mes explications, pendant lequel il réfléchit intensément…

A la fin de l’entretien, je cible sur l’objectif minimum, en lui demandant d’y réfléchir, à la fois pour détourner momentanément son attention des recadrages précédents, et pour lui mettre « le pied à l’étrier »,  car à ma question « Quelle serait la première petite chose qui vous permettrait de commencer à aller mieux ? », il ne trouve aucune réponse. Auparavant, nous avons pris le temps d’envisager les options de rechange en cas d’échec définitif : ll se dit très à l’aise face à toutes les éventualités.

Après cette première séance, je reçois un appel téléphonique de la mère pour un rendez-vous que nous prenons rapidement, sous condition qu’elle en informe son fils. Pour le dire brièvement, le message que je lui fais passer, c’est : « Faites confiance à votre fils et laissez-le se débrouiller. Vous avez fait beaucoup pour votre fils, il faut maintenant que vous fassiez encore plus en l’aidant à voler de ses propres ailes, etc. » ce qu’elle achète en soupirant, pleine de bonne volonté.

2.    La tâche paradoxale
Quinze jours plus tard, deuxième séance avec Antoine.

Antoine va mieux. Nous ne reparlons pas des sujets abordés la dernière fois. L’objectif minimum lui est apparu tout simple : se remettre aux révisions (ce que précisément il n’arrivait pas à faire auparavant). Nous examinons en détail son emploi du temps et convenons de son organisation : travail à la pharmacie parentale le matin, détente et baignade ensuite, puis tout le reste de l’après- midi jusqu’en soirée : révision. Il a retrouvé, sans comprendre pourquoi, une certaine confiance en lui, mais craint de retomber dans ses travers : procrastination, laisser-aller… Je lui propose une tâche en deux temps :

1. Chaque fin de semaine, faire le point sur son travail afin de vérifier qu’il a respecté le programme de révision qu’il s’est fixé ;
2. S’il s’aperçoit qu’il n’a pas fait ce qu’il aurait dû, pendant les quatre jours suivants, interdiction de travailler.
A l’énoncé de la tâche, un grand sourire éclaire son visage, et nous nous quittons comme deux complices d’une bonne plaisanterie…
3.    La consolidation
Troisième et dernière séance, quinze jours plus tard.

Antoine a le sourire. Son travail avance, et il n’a pas eu besoin d’avoir recours à la tâche paradoxale. J’en profite pour recadrer positivement sa capacité à enclencher le cercle vertueux qui lui a permis de retrouver la confiance en lui, et je lui fais un petit discours –hypnotique- sur les apprentissages.

Nous décidons de nous revoir quinze jours plus tard, avant qu’il ne reparte à Poitiers. Quelques jours avant le rendez-vous, je reçois un coup de fil de la mère m’informant qu’Antoine est reparti plus tôt que prévu à Poitiers et que le dernier rendez-vous ne sera pas nécessaire : tout va bien, et « il n’y a plus qu’à croiser les doigts pour l’examen ».

Et enchâssés dans le tricot, quelques rangs à l’envers…

Revenons maintenant sur la présentation du déroulement de la thérapie, avec ses séquences bien huilées et incontournables : en réalité, les choses ne se sont pas tout à fait passées ainsi, car je n’ai pas encore mentionné une intervention que je me suis reprochée aussitôt en me traitant in petto de tous les noms d’oiseaux dont mon vocabulaire est assez riche. Je m’explique et je reprends :
Lors du premier entretien, Antoine est sous le choc de son échec à l’examen, déprimé et dévoré de honte. Son désarroi est si grand devant cette nouvelle faillite que je m’interroge avec lui sur le sens de ces échecs répétés en lui présentant comme une évidence la nécessité d’un travail de thérapie probablement long. Il acquiesce, accablé. Et c’est dans cette perspective que je poursuis l’entretien comme décrit précédemment. La conviction dont j’ai fait part à Antoine qu’il faudra du temps pour faire le tour du problème (et dont nous ne reparlerons pas) n’a-t-elle pas joué un rôle dynamisant de repoussoir, à la mesure de l’idée dévalorisante que se fait Antoine du recours à l’aide psychothérapeutique ? Et cette parenthèse très « psy » dans un discours habituellement plus « bref » énoncé presque malgré moi (mais que s’est-il donc passé dans ma tête ?) n’a-t-elle pas aidé Antoine à se hâter de se sortir de cette insupportable situation : l’échec proprement dit, et en plus, double peine, la nécessité d’un soutien « psy » de longue durée : quelle mortification ! Et quel ennui !

Tous ces mouvements subtils d’aller et retour des influences liées au discours me font penser au concept d’ « enchâssement » de la grammaire transformationnelle en linguistique : il s’agit d’un processus non linéaire à l’œuvre dans le langage, qui correspond à la manière dont notre pensée, à travers ses méandres, fonctionne. Ainsi peut-on, dans la conversation, placer des parenthèses qui s’imposent d’elles-mêmes, et les laisser tricoter leur discours à l’intérieur du discours, à condition de demeurer en phase avec l’interlocuteur qui réagit à l’un ou l’autre de ses aspects, le « principal » ou l’ « enchâssé »…

Mais, j’y pense : peut-être y-a-t-il une partie de moi qui applique à l’insu de mon plein gré les principes de la thérapie brève? Un autre moi-même, qui apparemment peu soucieux de communiquer sa stratégie, travaille au changement espéré, à l’aide de phrases peu réfléchies, ou de mimiques spontanées, créant une dynamique particulière dans le discours, et me donnant parfois par la suite le sentiment de m’être totalement fourvoyée… René CHAR disait :

« Agir en primitif et prévoir en stratège ».

Et, plus loin :

« Les plus pures récoltes sont semées dans un sol qui n’existe pas. Elles éliminent la gratitude et ne doivent qu’au printemps. »

N’est-ce pas évident ?
Post-scriptum : aux dernières nouvelles, Antoine a réussi son examen.
©  Francine Pierre/Paradoxes

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