Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la dixième journée de Rencontre de Paradoxes, 15 octobre 2011
Docteur Georges Elkan, pédopsychiatre

Être psychiatre à l’hôpital revient à travailler en équipe avec des collègues aux formations et aux qualifications variées. C’est un des intérêts principaux de ce type d’exercice. L’équipe accueille et soigne des personnes dont la gravité des problèmes laisserait démuni un thérapeute isolé.
Comme tout groupe construit autour du travail, l’équipe évolue en permanence dans son savoir faire, ses pratiques, la place de ses membres et leurs relations. Les réunions précisent la vision des soignants sur les patients, leur prise en charge, les relations dans l’institution…

Conduire ces réunions est l’une des fonctions traditionnelles du psychiatre hospitalier. Les attentes, les inquiétudes, les satisfactions et les colères, les accords et les mésententes s’y jouent semaines après semaine.
Les prémisses cybernétiques et constructivistes peuvent  aider  à apaiser ces temps en commun et à accepter d’avoir à les animer dans une continuité sans limite.

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Les responsabilités institutionnelles coexistent presque toujours avec  l’activité clinique des psychiatres hospitaliers, même s’ils s’y confrontent parfois en autodidactes.

Georges Elkan © Paradoxes

Georges Elkan © Paradoxes

Si la clinique continue de me surprendre, j’arrive à l’assumer au quotidien avec plus de naturel que l’animation hospitalière qui a le charme d’encore me déstabiliser, même après presque trente ans de fréquentation.
Mon propos va tenter de mettre en évidence  l’influence de la pratique de l’Intervention Systémique Brève sur le déroulement et le climat des réunions. Mes interrogations seront centrées surtout sur les notions de position, langage et recadrage. Ces thèmes ne se situent pas sur un même niveau logique.

Je connais la psychiatrie de l’enfant où les soignants sont de formations professionnelles diverses. Une telle configuration doit se trouver dans bien des domaines d’activité.
On y trouve des gens qui parlent la même langue en apparence. Cependant chacun a un parcours unique qui a façonné son mode de pensée et son bagage théorique et éthique. D’où un langage propre que  même une personne qui aurait le même parcours ne pourrait totalement comprendre sans risque de contre sens ou d’à peu près.
Pourtant on ne peut pas ne pas communiquer. Et le plus souvent, cela aboutit à des échanges satisfaisants tant par ce qui  est perçu que dit.

Certaines personnes un peu sourdes ont admis que la teneur, le fonds du discours, comptent moins que la forme. Qu’on s’adresse à elles et qu’on acte leur existence par la communication leur suffit. Contrairement au professeur Tournesol, elles savent répondre de façon ouverte et assez vague pour créer un dialogue. Ici, on communique avec l’impression de se comprendre car au moins un des interlocuteurs a accepté que des choses lui échappent.
C’est une attitude qu’un animateur de réunion pourrait expérimenter et laisser s’étendre aux autres participants.
Accepter de ne  jamais complètement comprendre ce qu’on veut nous dire  faciliterait-il paradoxalement la communication ?

L’animateur de réunion joue un rôle dans la qualité de l’ambiance. Il a pu être admis que l’expression ouverte des conflits avec leur charge d’agressivité et de colère  était utile à l’évolution de l’institution ainsi qu’à la coordination des soins. Ne serait-ce pas une idée reçue ? Il apparaît plutôt que ces situations conflictuelles se répètent sans se modifier ni faire évoluer quoi que ce soit : un type de tentatives de solution inopérantes.
Si leur émergence cyclique est inévitable, est-il utile de laisser les membres d’une équipe s’y adonner pendant des semaines voire plus ? Ces moments d’expression violente des désaccords rendent l’ambiance pénible et alourdissent  le travail de tous. Ça, c’est un problème.
En l’absence de coach ou de consultant, quelles attitudes l’animateur, totalement inclus dans le système, peut-il essayer pour les abréger ? Les interventions en position haute peuvent être opérantes en fin de crise quand les belligérants en sont arrivés naturellement à une trêve. Si l’on s’est disputé pendant des semaines en utilisant le prétexte, par exemple, d’un placard, dire, alors que la paix approche : « et si l’on parlait clinique ? » peut donner l’illusion qu’on a agit utilement. En pleine guerre, celui qui s’y risquerait verrait les tirs dévier sur lui.

Quand ça se bagarre, au sens figuré, les interventions en position basse ne sont pas plus crédibles. Elles sont souvent alors reçues comme ironiques et péjoratives et personne ne croit à l’humilité revendiquée de celui qui les professe.
Parfois au contraire, une remarque involontairement décalée, presque à la Tournesol, si elle traduit authentiquement une incompréhension du conflit, peut être reçue comme recadrante et être apaisante. Il faut que ça vienne tout seul, sans chercher à être spontané, sinon c’est inefficace voire excitant. Une posture un peu comparable à celle qu’on peut trouver dans la pratique de l’hypnose pourrait favoriser ce type d’intervention.
Quand chacun a bien pu dire ses griefs et commencer à prendre conscience qu’il se répétait, l’animateur  peut tenter d’entrer lui aussi dans le jeu. Par exemple il peut essayer de préciser sa vision de la dispute.
Chez certains animateurs, c’est lent et flou, sans le vouloir. Est-ce la lenteur du débit, la maladresse du verbiage, toujours est-il qu’après des sourires gênés, les interlocuteurs ont tendance à abaisser leurs armes  et s’engager dans une communication au ton plus calme. L’animateur  sera souvent  surpris, de ce qu’on lui renverra de ses paroles. C’est cette sensation étrange mais banale au cours des conversations que l’autre vous attribue sa  façon de voir. Quand on en arrive là, le rythme et la tonalité de la discussion a déjà changé. Il peut être utile de  renoncer à préciser sa pensée et  se contenter du soulagement de voir les collègues ranger les armes et reprendre le travail.

Ne garde-t on pas forcément, quand on communique, pour toutes sortes de raisons, ou même sans aucune raison, des données pour soi ?  Si l’on arrive à penser ce que l’on dit, on ne saura jamais faire passer tout ce que l’on pense. Il est opportun ici de citer cet extrait du Thé extravagant d’Alice au pays des merveilles (trad. Jacques Papy, éd. Gallimard 1994) :
« -Veux-tu dire que tu penses pouvoir trouver la réponse ?
– Exactement.
– En ce cas, tu devrais dire ce que tu penses.
– Mais c’est ce que je fais » répondit Alice. « Du moins…du moins… je pense ce que je dis… et c’est la même chose, n’est-ce pas ?
– Mais pas du tout ! » s’exclama  le chapelier. « C’est comme si tu disais « je vois ce que je mange, c’est la même chose que je mange ce que je vois. »
– C’est comme si tu disais », reprit le lièvre de Mars, « j’aime ce que j’ai », c’est la même chose que « j’ai ce que j’aime ». »

Une idée reçue voudrait que la quantité et la qualité des informations dont on dispose s’élève avec la position hiérarchique. Les participants de la réunion pourraient ainsi penser que l’animateur ne leur dit jamais tout et qu’il leur cache des données potentiellement menaçantes pour  leur situation institutionnelle ou leur pratique de soignant. Cela  produit un climat de méfiance et d’anxiété que l’animateur peut finir par ressentir agressif à son égard.
C’est une réalité que, possesseur d’informations inquiétantes mais incertaines sur le devenir de l’institution, on peut préférer les taire. Le but serait alors de protéger le cadre de travail des collègues et d’éviter de les agresser par des informations menaçantes.
Le plus souvent, l’idée que des informations soient secrètes est une illusion, surtout à l’hôpital, institution qui dispose de multiples réseaux de circulation des informations.
Ainsi les collègues surprendront souvent leur, théoriquement, supérieur hiérarchique en étant « au courant » bien avant lui de ce dont il veut les informer. Reste ensuite à comparer ce que l’on a appris  et qui a évolué différemment selon les trajets empruntés.
Contrôler voire manipuler l’information fait parties des tentatives de solutions inefficaces et néfastes de lutte contre l’anxiété et le découragement d’une équipe.
Le climat gagnera en douceur si  les   contraintes hiérarchiques entravent au minimum le partage et la comparaison des informations.

Un nouveau venu dans une équipe sera souvent plus ou moins tenu à l’écart de ce flux de données. C’est ainsi que sans en comprendre les raisons, il est parfois amené à extérioriser des comportements ou des attitudes étrangers à ses habitudes et son système de valeurs. Il se trouve pris en fait dans une sorte de matrice relationnelle qui s’était construite autour du poste qu’il occupe. Il peut parfois jouer malgré lui ce rôle qui ne lui correspond pas jusqu’à ce qu’on finisse par lui raconter l’histoire de ceux qui ont occupé son poste avant.
Ceux qui transmettent cette histoire ne procèdent-ils pas à un équivalent de recadrage puisqu’ils permettent au nouveau de modifier sa vision du monde et de se libérer de comportements incompréhensibles et problématiques entretenus par les tentatives de solution qui n’auront pas manqué d’apparaître ?

Dans la série des manipulations, celles qui touchent la hauteur de la position m’incitent à la prudence en institution.

De mon point de vue,  les collègues ont besoin de pouvoir nous situer sans trop d’ambigüité et jouer sur notre position hiérarchique en modifiant nos attitudes au gré des circonstances risque de créer un climat anxieux et méfiant où ils ne nous sentirons pas fiables.
Assumer une position constamment haute pourrait être efficace, au moins en apparence pour une personne vraiment haut placée hiérarchiquement. Elle serait si haute qu’elle n’entendrait plus ceux qui, en dessous, montreraient leur opposition et leur besoin de maîtrise. Être immense et sourd n’est cependant pas jouable dans la durée. Une instance encore supérieure finira par se manifester pour rappeler que dans les étages du dessous tout le monde se plaint.
Et nous voici devant le résultat caractéristique du modèle par son absence de brio : finir par accepter d’être à sa place et faire ce pour quoi on est payé.

Vous avez entendu mes doutes sur l’adaptation de notre langage aux interlocuteurs singulièrement pendant les réunions, et mes ratiocinations sur l’incommunicabilité.
A quoi bon communiquer en effet puisqu’il existe tant d’approximations et d’incertitudes sur ce qui est compris ?
Premièrement, on ne peut pas ne pas le faire. Ensuite, ça permet, quoiqu’on ait compris, d’agir ensemble auprès de nos patients, en concordance, sinon toujours dans la concorde.
J’ai un peu parlé de la surprise heureuse qui nous vient de l’intervention recadrante  d’un collègue  formé ou non aux interventions systémiques. Si j’apprécie le soulagement qui vient avec ces recadrages, j’avoue ma difficulté à les proposer en réunion. Peut-être est-ce dû à ma croyance que je ne peux pas, comme élément du système, en modifier l’homéostasie ? Parfois pourtant, et alors ça n’a plus de caractère stratégique, des recadrages viennent spontanément, plus facilement sous forme de métaphores. Ces petites surprises n’arriveraient-elles pas surtout quand chacun est bien à sa place, dans une posture qui permette l’ouverture ?
L’animateur peut-il aider à la présence d’un climat favorable à cela ? Peut-être, mais je soupçonne qu’il vaut mieux ne pas chercher la recette. Il me semble à la pratique, que la spontanéité est ici nécessaire à l’efficacité. Et qu’on ne cherche surtout pas à être spontané !
On a vu que les recadrages, s’ils sont un des outils principaux des interventions systémiques stratégiques, viennent presque de façon banale et inattendue dans les échanges humains. Sans pouvoir le prouver, j’ai l’impression que travailler au quotidien avec notre modèle  facilite l’éclosion de ces drôles de fleurs. Être formé à l’hypnose doit encore rendre la main plus verte pour ce genre de jardinage.

Terminons par un petit morceau d’Albertine disparue (Marcel Proust éd. Gallimard) : « Mais ce qu’on appelle expérience n’est que la révélation à nos propres yeux d’un trait de notre caractère, qui naturellement reparaît, et reparaît d’autant plus fortement que nous l’avons déjà mis en lumière pour nous-mêmes une fois, de sorte que le mouvement spontané qui nous avait guidé la première fois se trouve renforcé par les suggestions du souvenir. Le plagiat humain auquel il est le plus difficile d’échapper pour les individus (et même pour les peuples qui persévèrent dans leurs fautes et vont les aggravant) c’est le plagiat de soi-même. »

© Georges Elkan/Paradoxes

Pour citer cet article : Georges ELKAN, Kit de survie de l’animateur de réunion institutionnelle. 2011. www.paradoxes.asso.fr/2011/10/kit-de-survie-de-lanimateur-de-reunion-institutionnelle/
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