Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Le modèle

Le modèle de résolution de problèmes de Palo Alto, initialement appelé « Thérapie Brève » (Brief Therapy) a été développé dans les années 1960 à Palo Alto (Californie).
La méthode, tout d’abord mise au point dans un cadre thérapeutique avec des individus et des familles, a rapidement été appliquée en dehors du champ de la thérapie, dans les institutions et en entreprises en particulier.

Il s’agit d’une approche pragmatique qui ne se réfère pas à des pathologies ni à des normes de fonctionnement. Ses fondements théoriques, l’épistémologie constructiviste et le regard systémique porté sur le monde, amènent à regarder les problématiques humaines en se focalisant sur les relations entre les individus au sein de leur environnement (couples, familles, groupes), dans le respect de la vision du monde de chacun.

L’histoire :

La Thérapie Brève a été initialement développée aux États-Unis, au Mental Research Institute de Palo Alto (Californie), à la suite des travaux de l’anthropologue Gregory Bateson. Dans les années cinquante, Gregory Bateson a été le premier à étudier d’un point de vue systémique la communication entre des patients hospitalisés avec un diagnostic de schizophrénie et leurs familles.
Avec ses collaborateurs — Jay Haley, John Weakland, William Fry, Don Jackson — il a plus particulièrement observé le déroulement des interactions et mis en évidence le fait que la schizophrénie pouvait être comprise comme un trouble de la communication. Leurs travaux ont donné lieu à la publication du célèbre article sur la double contrainte en 1956 « Vers une théorie de la schizophrénie » (in : Vers une écologie de l’esprit, tome 2, Seuil).

Donald D. Jackson, psychiatre, pionnier des thérapies familiales, a souhaité prolonger ces recherches dans une optique plus thérapeutique en fondant, en 1959, le Mental Research Institute (MRI) à Palo Alto. Aux premiers collaborateurs, Jules Riskin et Virginia Satir, se sont ensuite joints tous les participants du « projet Bateson».

En observant les résultats des thérapies, Jackson et son équipe ont constaté que certaines situations évoluaient rapidement, les patients se montrant capables de faire des changements importants, alors que d’autres situations semblaient rester dans l’impasse. Ils se sont donc questionnés sur ce qui, dans le processus thérapeutique, favorisait le changement.

Leurs observations et leurs réflexions étaient aussi fortement influencées par leur collaboration avec Milton H. Erickson, psychiatre particulièrement inventif qui obtenait des résultats spectaculaires et qui a profondément transformé la pratique de la thérapie et de l’hypnose.

À partir de 1967 quelques chercheurs du MRI (Richard Fisch, psychiatre, Paul Watzlawick, philosophe et psychologue, John Weakland, anthropologue et Arthur Bodin, psychologue) fondent, au sein du M.R.I., un Centre de Thérapie Brève. Ils mettent ainsi en place un cadre de recherche rigoureux de façon à trouver les techniques les plus efficaces pour produire le changement souhaité le plus rapidement possible. Leur objectif était essentiellement pragmatique : identifier le problème du patient ou de la famille et rechercher la plus petite intervention thérapeutique permettant de le résoudre.

Les résultats de cette recherche ont permis l’élaboration des principes fondamentaux de la Thérapie Brève de Palo Alto.

Les principes en quelques mots.

Cette thérapie est qualifiée de brève, bien que, en dehors du cadre particulier de la recherche, il n’y ait pas de nombre de séances prédéfini. Le thérapeute cherche cependant à aider à résoudre le problème le plus rapidement possible. A noter que dans cette présentation, nous conservons le terme thérapeute utilisé à l’origine, bien que l’intervenant ne soit pas toujours thérapeute puisque cette méthode s’applique de la même façon dans d’autres champs que celui de la thérapie (travail social, coaching, formation etc.).

Dans un premier temps, lorsqu’il est sollicité, le thérapeute va rechercher la personne qui est la plus motivée pour un changement, celle qui est prête à agir pour résoudre le problème.
Il s’agit le plus souvent de celui qui a le problème, qui souffre de son propre comportement, mais il peut aussi s’agir de quelqu’un qui souffre du problème que lui pose une personne de son entourage (par exemple des parents qui ont des difficultés avec un adolescent, une personne avec son partenaire, un manager avec son collaborateur). De ce fait, et aussi pour se démarquer de tout conception pathologisante, les chercheurs de Palo Alto ont préféré parler de client plutôt que de patient.

Le thérapeute ne pose pas de diagnostic, ne porte pas de jugement, ne propose pas de solution. Seul le client peut dire ce qui lui pose problème, ce qu’il souhaite changer.
Ainsi, tout au long des entretiens, le thérapeute questionne soigneusement le client pour l’aider à formuler clairement et concrètement son problème en termes de comportements qui le font souffrir dans le présent, sans se référer à des diagnostics. Il prend particulièrement en compte les aspects relationnels (c’est-à-dire les messages échangés entre le client et son entourage ainsi que les messages qu’il s’adresse à lui-même).
Il aide aussi le client à fixer un objectif précis et réaliste. Enfin, il le questionne sur tout ce qu’il a déjà tenté vainement de faire pour résoudre son problème, soulager sa souffrance : ses tentatives de solution. La plupart du temps, lorsque les gens viennent demander de l’aide, ils ont déjà fait de multiples tentatives pour résoudre leur problème, qui, même si elles apparaissent différentes, reviennent toutes à un même thème, c’est-à-dire à adresser un même message.

Les chercheurs de Palo Alto ont constaté que lorsque l’on amène un client à arrêter ses tentatives de solution, à cesser de « faire plus de la même chose » qui ne marche pas, celui-ci trouve de nouvelles solutions qui permettent de débloquer les situations et bien souvent d’atteindre l’objectif visé. Ils en ont conclu que les problèmes récurrents sont souvent maintenus et même aggravés par tous les moyens auxquels on a recours — et qui se sont révélés inefficaces — pour les résoudre.
Cette stratégie visant à arrêter les tentatives de solution est paradoxale puisqu’elle va à contre sens de ce qu’il apparait le plus souvent logique de faire pour résoudre un problème. Elle n’est pertinente que si rien de ce qui a été tenté n’a pas été efficace et elle nécessite de bien comprendre la situation pour éviter de faire des interventions paradoxales inadaptées.
Le thérapeute amène le client à arrêter ses tentatives de solution en lui proposant, tout au long des séances, des recadrages, c’est à dire d’autres façons de voir les choses et des tâches à réaliser entre les séances : par exemple observer plus précisément certaines manifestations du problème ou de faire des expériences qui peuvent aider à avancer vers une solution.

Le modèle de Palo Alto, relativement simple dans ses principes, est difficile à intégrer et à mettre en pratique tant il est contre intuitif et à contre-courant de la plupart des approches auxquelles sont actuellement formés les thérapeutes et les intervenants. La stratégie paradoxale est délicate à mettre en œuvre. Elle nécessite d’être particulièrement rigoureux dans le décodage des situations, attentif à respecter le client et l’écologie des systèmes dans lesquels il évolue.

En fait, bien au-delà d’une simple méthode de résolution de problèmes, l’approche de Palo Alto est une autre façon de voir le monde, une autre façon de comprendre les problématiques humaines.

Quelques éléments sur les fondements théoriques : le constructivisme et la systémique

  • Le constructivisme

Le constructivisme est une théorie de la connaissance qui repose sur l’idée que, puisque l’on fait partie du monde, on ne peut pas connaître de réalité indépendante de nous.
Les théories constructivistes sapent en grande partie la conception traditionnelle du monde. Depuis 2000 ans, presque toutes les philosophies occidentales ont considéré que ce que nous percevions constituait une réalité indépendante et objective.
Cependant, au cours de l’histoire, certains ont proposé une autre conception de la réalité, des sophistes grecs au 5ème siècle avant notre ère jusqu’au biophysicien Heinz von Foerster (1911– 2002), en passant par Emmanuel Kant (1724-1804) ou Jean Piaget (1896-1980).
Pour les constructivistes on ne peut pas parler de réalité objective et il n’y a pas de vérité en soi. Chacun construit ce qu’il nomme la réalité, sans avoir conscience qu’il s’agit d’une construction.
Les constructivistes distinguent :
• la réalité de premier ordre : ce que nous percevons ;
• la réalité de second ordre : le sens que nous attribuons à ce que nous percevons, la valeur que nous donnons à nos perceptions.

Il n’y a donc pas une construction de la réalité juste et une autre fausse. Il n’y en a pas une qui soit meilleure qu’une autre. Il y a simplement des constructions qui marchent et d’autres qui ne marchent pas selon l’objectif que l’on se fixe. Ce qui importe pour vivre et réaliser nos objectifs c’est que nos connaissances conviennent à la réalité et non pas qu’elles lui correspondent.

La réalité construite par le constructivisme

Cette façon de penser, de voir le monde, a pour conséquences :
– Le respect de l’autre : comme aucune vision du monde n’est meilleure ou plus juste qu’une autre, on ne peut être que respectueux de l’autre dont on sait que la vision du monde, la construction de la réalité, n’est pas plus vraie que la nôtre.
C’est seulement si les autres ne respectent pas notre propre réalité que nous pouvons « au nom de la tolérance, revendiquer le droit de ne pas tolérer l’intolérance » (Karl Popper).

– La responsabilité et la liberté : la vision constructiviste fait de l’humain un être pleinement responsable de ses constructions, de ses rêves, de ses décisions, de ses actes. L’être humain a aussi la liberté de changer ses constructions.

  • La systémique et la cybernétique

La théorie des systèmes a été élaborée avant la Seconde Guerre mondiale par le biologiste Ludwig von Bertalanffy (1901-1972). Il définit un système comme un « ensemble d’unités en interrelations mutuelles.»
La théorie systémique propose une nouvelle façon de voir le monde qui prend en compte, non plus les éléments isolés, mais des systèmes, c’est-à-dire des ensembles d’éléments en relation les uns avec les autres.

C’est un outil conceptuel nouveau capable d’aider à résoudre des problèmes complexes dans divers domaines scientifiques et humains comme, par exemple, l’écologie, la technologie, la médecine, la sociologie, la psychologie, l’économie, etc.
C’est un concept en rupture avec le rationalisme cartésien qui préconise de diviser les difficultés, de les simplifier et d’éliminer l’inconnu.
Ainsi, dans l’approche systémique, les situations sont toujours étudiées en prenant en compte non seulement l’individu mais aussi l’ensemble des personnes avec lesquelles il est en relation et, ce, dans les différents systèmes dans lesquels il vit : sa famille, ses amis, son milieu professionnel, etc.
Pour les systèmes humains s’appliquent plus précisément les principes de la cybernétique, branche de la systémique qui étudie les systèmes organisés en fonction d’un but et dont les interactions se font sous forme de rétroactions (feed-back). Le terme cybernétique (du grec kubernetes = pilote, gouvernail) a été proposé en 1948 par le mathématicien Norbert Wiener.

Gregory Bateson a été le premier à appliquer les principes de la cybernétique à la communication humaine, ce qui conduit à s’intéresser spécifiquement aux comportements.
En adoptant les fondements théoriques de l’approche de Palo Alto, le constructivisme et la systémique, le thérapeute/l’intervenant adopte aussi une posture et une façon d’interagir qui permettent de travailler autrement, même dans des situations où la demande n’est pas de résoudre un problème défini.

Evolution

Actuellement…

La Thérapie Brève de Palo Alto a été essentiellement diffusée en Europe grâce aux ouvrages et conférences de Paul Watzlawick.

Depuis le début des années 1990, l’Institut Gregory Bateson de Liège, qui fut longtemps représentant officiel du Mental Research Institute de Palo Alto  (MRI) pour l’Europe francophone, a grandement contribué à la diffusion de la Thérapie Brève en formant des praticiens et en organisant des conférences (http://www.igb-mri.com).

Au delà de la thérapie, la déclinaison de cette méthode de résolution de problèmes dans des domaines aussi divers que le champ médicosocial, l’entreprise, l’enseignement, l’urbanisme etc. a conduit de plus en plus de professionnels à se former et à la mettre en pratique.

Le modèle de Palo Alto ne cesse de s’enrichir des apports de ceux qui poursuivent des recherches sur la communication, l’interaction et les processus de changement dans différents contextes. Bien évidemment, au fil des années, différentes « tendances » ont vu le jour, qui proposent des formations mettant en avant tel ou tel aspect du modèle ou intègrent d’autres approches,

L’équipe de l’association Paradoxes, en grande partie associée l’École du Paradoxe (https://www.ecoleduparadoxe.com), reste attachée à la méthode d’origine, à sa dimension non pathologisante et à sa stratégie paradoxale.

© I. Bouaziz/Paradoxes © C. Gaudin/Paradoxes (2002-2019)

 

 

Share This