Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la farandole de la neuvième journée de Rencontre de Paradoxes, 16 octobre 2010
Désirée Aellen-Waelti, Psychologue-Psychothérapeute FSP/AVP

Mme T consulte en raison d’une situation conjugale extrêmement tendue. C’est une petite femme frêle d’une cinquantaine d’années, à l’assurance invalidité en raison de nombreux problèmes de santé physique.
Mme T décrit son mari comme étant un homme qu’elle aime, mais un homme violent, physiquement imposant et qu’elle en arrive à craindre. Un homme influent, puissant, jouissant d’une bonne position et d’un bon salaire.
Elle décrit comment elle a été blessée suite à une dispute avec lui, et se plaint d’une perte de poids très importante en quelques mois. Elle semble de prime abord écrasée par son époux. Elle explique notamment comment elle dépense toute sa maigre rente invalidité pour la nourriture et les vêtements de son époux, malgré le fait qu’il jouisse d’un salaire plus que confortable.

D’emblée, la demande implicite de la cliente pourrait être résumée comme suit : « Dites-moi que mon mari est un salaud et aidez-moi à me séparer de lui. »
Amenée à contacter son médecin traitant pour une autre raison, j’apprends de celui-ci qu’il avait établi avec la cliente un contrat de séparation.

Sans cette formation à l’Ecole de Palo Alto et à l’Ecole du Paradoxe, j’aurais peut-être abordé les choses comme ce médecin, et cherché à encourager ma cliente à sortir de cette « relation toxique ».
Grâce à ces formations en revanche, je peux avoir de cette femme non l’image d’une victime sous le joug de son bourreau, mais au contraire celle d’un petit bout de femme très forte et disposant de ressources très importantes, qui lui ont permis de faire face à des situations extrêmement difficiles jusqu’à présent. Avec la formation à l’approche de Palo Alto, nous apprenons à considérer la circularité des événements et le fait que les comportements sont adaptatifs, que nos clients sont responsables de leurs choix, ont des compétences et des ressources.

Le principe d’intervention de cette approche étant fondé sur le paradoxe, je prends donc le contre-pied de ce que dicte le bon sens commun dans cette situation.

Plutôt que de lui dire qu’elle doit se séparer de son mari, je lui montre que je comprends à quel point elle souffre de sa situation. Qu’elle a peur de son époux, ne se sent plus en sécurité avec lui et veut s’en séparer, mais je mets l’accent sur le fait qu’elle reste cependant encore très attachée à lui.  Le fait de reconnaître sa souffrance, mais tout en reconnaissant et en soulignant en même temps les sentiments profonds qu’elle a encore pour son mari permet à Mme T de ne pas se sentir pressée à prendre la décision de la séparation.
Au contraire, essayer de la convaincre de se séparer aurait eu comme conséquence qu’elle n’aurait pu que me démontrer tous les arguments pour lesquels elle devait rester avec lui.

Au lieu de lui demander de réfléchir à tout ce qu’elle gagnerait en se séparant de son mari, l’Ecole de Palo Alto propose de voir les choses d’une manière radicalement différente. D’une part, cette approche se veut non normative, ce qui signifie qu’elle ne cherche pas à faire entrer les clients dans une norme quelconque, et qu’elle ne veut rien à la place des gens. D’autre part, elle part de l’idée que si Mme T ne s’est pas séparée de son époux malgré l’extrême difficulté de la situation, c’est parce que le fait de rester avec lui est ou a été le scénario le plus adapté pour la cliente, et qu’elle a donc de bonnes raisons pour rester avec son époux en dépit des difficultés.

En effet, les prémisses constructivistes et systémiques nous font considérer que le choix de vie du client, même s’il est douloureux pour lui, est le plus adapté.

Pour aller plus loin dans le raisonnement, on va donc interroger la cliente sur les inconvénients ou problèmes à affronter en se séparant de son époux. Soit l’inverse de la question telle qu’elle pourrait être énoncée par la plupart des orientations thérapeutiques : « Quelles sont toutes les choses que vous allez gagner en vous séparant de votre époux ? ».
Ce type de questionnement, contre toute logique, a permis à Mme T d’approfondir sa réflexion sur toutes les difficultés qui l’attendaient si elle se séparait de son mari, et des choses qui l’empêchaient de se séparer.
Outre l’attachement qu’elle avait encore pour lui, elle redoutait la situation financière dans laquelle elle allait se trouver, et ignorait totalement si elle pourrait ou non honorer ses factures. Cette réflexion lui a alors permis d’avoir envie de faire tout un travail d’évaluation du budget qu’il lui faudrait pour vivre, et de prise d’information, par exemple sur le montant des loyers des appartements, etc.

Avant qu’elle entreprenne ce travail considérable de prise d’information, j’avais bien insisté sur l’importance de le faire non pas dans le but de se séparer, surtout pas, mais uniquement dans le but d’obtenir les informations qui lui manquaient, et ce à titre purement indicatif.
Dans les entretiens qui ont suivi, j’ai passé beaucoup de temps à freiner son enthousiasme pour la séparation, à lui rappeler les risques qu’elle prendrait en se séparant, à vérifier avec elle si elle avait bien pensé à tout, et à noircir le tableau en imaginant des scenarii qui pourraient la mettre en difficulté.
La stratégie de freiner le changement plutôt que de chercher à l’accélérer, c’est-à-dire de réfréner son enthousiasme à se séparer plutôt que de la pousser à la séparation semble avoir permis dans un premier temps à Mme T de se sentir comprise, non jugée, et en confiance.
Freiner le changement lui a ensuite permis d’aller à son rythme à la recherche des informations qui lui manquaient, et de pouvoir effectuer ces démarches à titre d’information uniquement, et non en ressentant la pression de devoir utiliser ensuite ces informations dans le but de la séparation.
Au fil du temps, Mme T conservait son enthousiasme, et était de moins en moins effrayée par ces risques, jusqu’au moment où elle a pris la ferme décision de la séparation. J’ai continué à freiner et à poursuivre l’intervention paradoxale, jusqu’au moment où j’ai été persuadée qu’il ne restait plus une once d’hésitation en elle, et qu’elle était intimement convaincue qu’elle était prête à prendre le peu de risques qui restaient encore.

Généralement, cette manière de voir les choses et de questionner le client, contraire à la logique, désarçonne. Mais en même temps j’ai toujours constaté que cette logique à contre courant était un des éléments qui permettait au patient de se sentir compris et respecté.

Pour en revenir à Mme T., les outils que j’ai principalement utilisés, outre le paradoxe, étaient les métaphores, et l’humour (elle en avait à revendre et cela nous a souvent permis de poursuivre des discussions délicates).

L’hypnose a également été un outil important, notamment à la veille de son audience au Tribunal. Mme T était arrivée dans mon bureau dans un état de panique, avec la demande de faire une séance d’hypnose pour se calmer.
Si nous en avions déjà fait ensemble, j’aurais opté pour un exercice où je lui aurais demandé de s’installer dans sa panique, poursuivant ainsi la logique du paradoxe jusqu’au bout. Mais ignorant comment elle réagirait à l’hypnose, et en raison de l’importance des enjeux du rendez-vous du lendemain, j’ai opté pour un exercice plus « doux », mais toujours dans la logique paradoxale, où j’ai simplement demandé à ma cliente de ne rien faire du tout, ne pas chercher à calmer sa panique, etc. Elle en est ressortie « flottante » et suffisamment paisible jusqu’à la sortie de son audience du lendemain.
Elle a ensuite fait la connaissance d’un compagnon, qui semble prendre soin d’elle et avec lequel elle décrit une relation plus que satisfaisante.

En conclusion, la réponse paradoxale n’est pas uniquement selon moi une technique ou une stratégie. Elle est bien plus que cela : à mon sens, il s’agit de l’approche la plus respectueuse du client, là où il se trouve, et de ses souffrances.

© Désirée Aellen-Waelti / Paradoxes

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