Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communications à la septième journée de Rencontre de Paradoxes, 11 octobre 2008
témoignages de coachs et thérapeutes sur le thème : changer de regard change la réalité.

La situation qui me pose problème
de Laurent Edel, coach

Matthieu est insatisfait et me demande de l’aide pour changer de poste. Rapidement, je me retrouve dépassé par son histoire. Incapable de manœuvrer face à son comportement. J’ai l’impression d’affronter un sumo. Trop lourd, trop statique, trop enraciné sur le tatami pour être déplacé. Il passe d’un sujet à l’autre. Ne termine pas ses phrases. Le récit de ses tentatives de solution successives me laisse KO.

Il a pourtant essayé d’évoluer à de nombreuses reprises. Mais selon lui, son problème c’est de ne pas aller au bout des choses. Plusieurs demandes infructueuses de mutation, plusieurs concours ratés, étudiant, il a tenté, sans les achever, trois cursus universitaires.

En plus, il dit être stressé, surmené, déprimé. Et il passe en revue son programme de prise en charge: hospitalisation psychiatrique dans le passé, suivi avec psychiatre et psychologue.

Lorsque Matthieu me consulte, mon expérience n’est pas bien lourde. J’ai démarré la formation IGB depuis un an et pratique le coaching depuis 6 mois. Je ne vois pas ce que je peux faire pour lui.

Le recadrage
En supervision, mon superviseur m’interroge:
– Mon superviseur: Matthieu, tu le vois comme un molasson?
– Moi: Ah! oui.
– Mon superviseur: Comme un molasson incapable de se prendre en main?
– Moi: Ah! oui oui oui. (Je souris)
– Mon superviseur: Ce n’est pas en le voyant comme un molasson qu’il va changer. Vois-le comme un tarzan. Et il se sentira peut-être tarzan.
Et pan, une nouvelle vision du monde en pleines dents! Mon superviseur poursuit: Ses multiples TS de mutation sont le signe qu’il est valeureux et tenace.

Pour moi, le fait qu’il consulte un coach c’est un signe qu’il échappe à la psychiatrie. Grâce à internet, une génération de patients de la psychiatrie cherche à sortir du cercle psychiatrique. Ils y trouvent la liberté de rechercher des nouvelles solutions avec des coachs ou psychothérapeutes. Tu peux l’aider.
Mais ce ne sera pas facile: tu dois lutter contre la vision de son psy.

Mon superviseur poursuit son recadrage: Il a raison d’avoir peur. Il y a son envie de mutation, sa stratégie. Mais aussi, l’image qu’il a et son dossier dans son administration. Même s’il change, il n’est pas sur que son administration, le voit Ton but c’est qu’il arrête de vouloir arrêter d’avoir peur. S’il arrête de vouloir arrêter d’avoir peur, il pourra décider librement.

Elle freine mes attentes sur le résultat final: Peut-être, il ne bougera pas. Mais il sortira plus fort, plus grand. Tu dois lutter contre la vision de son psy. Pas facile.

L’effet du recadrage
Effets pour moi. La séance suivante, je ne le voyais plus du tout de la même façon. Avant, son discours redondant sur lui même m’énervait. Je ne retenais que : ses hésitations, plaintes, incohérences, arrêts maladie, échecs).

Après, à l’inverse, j’entendais principalement son effort à essayer de s’extraire de sa situation pour se sentir bien de nombreux efforts qui la plupart du temps n’aboutissaient pas.
Alors, j’ai souligné ses efforts, sa volonté, son courage, sa persévérance, son pouvoir d’obtenir des résultats, son ambition (en disant que ses collègues ne le voyaient sans doute pas ainsi). J’ai insisté sur une initiative qu’il venait de prendre (une candidature pour du bénévolat), comme un exemple de sa volonté et de son intelligence.

Effets pour lui. Quand il entendait les mots: persévérant, volonté, courageux, ambition, il disait: Ah! je suis rassuré. Il souriait plus que la première fois.
La première séance, il me disait plutôt quelque chose comme:
Vous trouvez mon cas désespéré. Vous croyez que je n’y arriverai pas?

À la fin de cette séance, il m’a dit qu’il voulait revenir (ça ce n’est jamais un critère dit Mon superviseur), car il était très satisfait.

Il y a eu cinq autres séances. Progressivement, le changement de mon regard s’est étiolé. L’image du tarzan se faisait de moins en moins nette. L’image initiale de sumo mollasson se substituait à elle. Matthieu continuait sa plainte. Je me sentais de plus en plus incapable de lutter contre son psy. J’étais déçu du manque de résultat. Il a annulé sa dernière séance.
Mon superviseur me dit: Si tu n’attends rien, ça ne peut pas mal se terminer, si ce garçon continue sa quête ou ses plaintes, il aura tout de même fait la magnifique expérience de voir quelqu’un qui l’a valorisé et ce ne peut être que positif pour son avenir, qu’il obtienne sa mutation ou reste à son poste jusqu’à la retraite… Ça me soulage… et me donne presque l’envie de retrouver un autre tarzan!


Cette parole d’Hadrien qui a changé sa mère
Marianne Orvoën, psychothérpeute
Hadrien est élève en Terminale S dans un très bon lycée de la région parisienne.
Avec ses 2 ans d’avance, il est ce qu’on appelle un élève doué, tout spécialement en maths et en physique, matières qu’il pige au quart de tour. Il est également plutôt je-m’en-foutiste et accumule sur ses bulletins des commentaires mitigés: peu d’investissement, des possibilités, j’attends mieux…
Père et mère scientifiques, issus de familles de bosseurs, convaincus que les études supérieures assurent une meilleure existence, nous avons conscience de ses capacités et du bel avenir auquel il pourrait prétendre avec un peu d’effort.
Or, il passe beaucoup de temps à jouer en ligne à ces jeux aussi peu réalistes et culturels qu’ils sont agressifs, il lit peu et jamais rien d’intéressant à mes yeux. Je trouve que c’est du gaspillage d’intelligence, qu’il gâche ses chances et qu’il prépare bien mal un avenir qui ne s’annonce pas très facile.
Pour moi, il est clair que mon fils, manque d’envergure et a un sacré poil dans la main. Il se comporte de façon bien peu responsable. Je l’imagine perdu dans la masse des moyens, s’ennuyant dans un métier qu’il n’a pas vraiment choisi, regrettant de ne pas avoir fait des efforts plus jeune, quand c’était si facile d’apprendre et de progresser en suivant des rails.

En bonne mère responsable qui sait ce qui est bon pour ses enfants, je lui fais donc la guerre pour qu’il travaille plus, qu’il prenne enfin ses études et son avenir au sérieux et le pousse fortement à s’orienter vers une grande école. Cela ne fait aucun doute, il en a le potentiel, il doit s’inscrire en prépa.
Il est réticent, n’en fait pas plus, continue à travailler tout en jouant et à chattant assidument, glandouille avec les copains et m’oppose vaguement des arguments anti-prépa que je balaie systématiquement.
Et régulièrement, je m’énerve, me désespère et j’en remets une couche.
La période des inscriptions arrive, nouvel assaut serré de ma part, je cherche vraiment à le convaincre. Et il lâche innocemment: Mais, maman, je n’ai qu’une enfance et j’ai envie de la vivre, ce n’est pas à 60 ans que je pourrai le faire.

J’en reste sans voix et ma vision change!
Pour moi, subitement mon enfant vient de grandir, de prendre une dimension supplémentaire: en revendiquant son droit à l’enfance, il se place en adulte.
À mes yeux, il n’est finalement pas le doux flemmard irresponsable qui se la coule douce que je voyais, mais un individu original qui préfère l’épanouissement à la compétition, la dimension humaine à la réussite sociale, le lent processus de la maturation à l’obligation de résultats.
Derrière son air placide, toujours discret et de bonne volonté, je vois soudain qu’il a du caractère, qu’il sait ce qu’il veut et peut résister au conformisme ambiant pour développer les diverses facettes de sa personnalité qui lui semblent importantes.

Tout à coup, je troque l’image du gamin doué mais laxiste et inconséquent contre celle d’un philosophe réfléchi et responsable de ses choix.
Alors, vraiment, convaincue, je rends les armes: C’est vrai, tu n’as pas 16 ans, tu n’as qu’une jeunesse et tu peux la choisir.

Et les choses changent
À ma grande surprise, il s’inscrit en prépa (lâchez vos tentatives de solutions et vous serez étonné !).

En surfant de ci de là – et là, je me rends compte que son ordinateur ne lui sert pas qu’à jouer – il apprend que les banques offrent un voyage aux élèves obtenant la mentions TB au bac. (Messieurs les ministres, la médaille pour bacheliers existe déjà!). Un voyage VIP en Égypte est une carotte suffisante pour le faire bosser et il décroche sa mention et son voyage. (Maman, tu vois, je maîtrise!)

En prépa, qu’il suit honorablement, il est déçu par le côté rigide des profs, par l’enseignement plutôt désuet et trouve inintéressantes les problématiques d’ingénieurs (message indirect: Tu vois, j’avais raison de ne pas vouloir y aller?).
Malgré son admissibilité et bien que le plus dur soit fait, il décide de ne pas intégrer l’école visée et il ne passe pas l’oral.
En effet, entre temps, il a cherché, analysé et comparé les enseignements et, c’est en rêvant de physique quantique et d’astrophysique qu’il décide d’aller se frotter en Licence aux enseignants-chercheurs de la fac, son argument: Eux, enseignent ce qui les passionnent et je veux faire ce qui me passionne.

Débarrassé de mes a priori et de mes jugements, il discute plus facilement avec moi de ses envies, de ses positions, m’explique ses choix tant en matière d’études que de vacances ou de cinéma; sans être copain-copain nous avons une relation simple et de confiance, adulte.
Je ne cherche plus à le convaincre de se prendre en main et je constate au quotidien qu’il cherche et construit de façon responsable et intelligente ce qui lui convient le mieux.

En master, il décide une année de fac en Écosse et l’organise. Il y trouve que les profs savent développer le goût des études et l’envie de travailler il est libre,  on ne lui demande pas de faire partie d’une l’élite: on l’intéresse. Alors il bosse, parce que ça lui plaît et qu’il lui reste le temps de faire autre chose à côté.
De retour en France, il se rend compte que les physiciens purs et durs qu’il admirait ne s’intéressent en fait pas aux êtres humains; il se remet en quête, fait des démarches et se retrouve finalement stagiaire heureux dans un labo de bio-physique où il ne ménage ni son temps ni sa peine.

Cette année, Hadrien a 20 ans, il s’investit plus dans ses études, abandonne parfois ses chatts pour travailler sans distraction; il continue à chercher et affirmer ses choix d’ouverture, alliant dans ses études la physique et la biologie, dans ses lectures la science et l’humain, sans oublier, pendant les vacances les stages scientifiques et les longs road trips à travers l’Europe avec les copains.

Sans doute n’aurai-je jamais la fierté d’avoir donné naissance au célèbre ingénieur, au prix Nobel de physique ou à la médaille Fields de math que je pouvais rêver. Mais finalement j’aime bien tout ce qu’il met en place pas à pas, j’appécie ses changements et pour être franche, j’ai plus de plaisir à discuter de sa vision du monde et de la nature humaine que d’électronique ou de physique quantique.

Témoignages © Paradoxes

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