Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la septième journée de Rencontre de Paradoxes, 11 octobre 2008
Dominique Delaunay, consultant

L’auteur (de l’exposé) s’interroge. Après avoir construit son approche du coaching avec le béton de l’analyse transactionnelle, les briques du management conceptualisé,  le mastic de l’approche rogérienne, et les isolants des  théoriciens du coaching, il découvre le fluide paradoxal de Palo Alto.

L’auteur est troublé. Il décide de relire les ouvrages de coaching en y introduisant ce « réactif » systémique et constructiviste, pour voir ce qu’il advient des concepts classiques de demande, d’objectif, de contrat, de méconnaissance, de relation « adulte » ou « parent », de position (haute ou basse), de permission, de protection, de contrainte (dans le coaching prescrit), etc.

L’auteur s’attend à des surprises.

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Dominique Delaunay © Paradoxes

Dominique Delaunay, consultant....

J’ai découvert l’approche paradoxale de Palo Alto il y a maintenant 3-4 ans. Cette découverte m’enchante et je tente activement de l’apprivoiser.

Mais… je pratique du coaching depuis plus de 15 ans… Et avec d’autres approches jusqu’ici, notamment l’analyse transactionnelle.

Est-ce le signe de la transition pour moi? D’un besoin d’inventaire? Toujours est-il que j’ai éprouvé soudain le désir de relire (ou lire aussi pour la première fois) ce que j’appellerai amicalement Les maîtres du coaching, disons les ouvrages les plus courants de cette discipline.
J’ai donc lu ou relu Cardon, Higy Lang, Lehnhardt, Delivré, Blanc-Sahnoun, Devillard, Kourilsky, Malarewicz entre autres. Tout en ayant acquis désormais une certaine sensibilité «Palo Alto» au sens donc de la thérapie brève, telle qu’enseignée à l’IGB ou à l’École du Paradoxe.

Il s’agira donc non pas d’une étude ou d’une synthèse, mais d’une démarche bien plus modeste: plutôt des notes de voyages, des notes d’étonnement, après que mon regard ait changé.
Regard biaisé et subjectif, il va sans dire, qui fait ressortir certains reliefs, certains aspects du paysage.
Donc de simples notes de voyages qui font ressortir dans le paysage des aspects qui attirent mon attention sur certains passages. Je ferai donc des citations.

Et pour conserver la métaphore des notes de voyages, je ferai ressortir sept aspects du paysage, sept reliefs qui m’ont attiré l’œil.

1 – Lieux dits jumelés
C’est le premier lieu que j’aperçois, une double colline dans le paysage, avec des fils plus ou moins tendus qui vont de l’une à l’autre. Un panneau indique: Lieus dits jumelés: «Problème /objectif»

J’observe cet endroit avec en tête cette réflexion Palo Alto: l’objectif du client est intéressant car il nous indique dans quelle direction porte son effort, sa tentative de solution. Mais il ne s’agit pas forcément d’atteindre l’objectif, objectif qui fait si souvent partie du problème…

Je note que certains coachs rigidifient l’objectif: «Je définis le coaching comme l’art d’accompagner une personne dans un changement professionnel d’une situation A vers une situation B.»

D’autres le choisissent eux mêmes pour le client: «Le client: J’ai toujours été timide.
Le coach: Alors c’est peut être ça qu’il faut travailler un peu… plus capable d’exprimer des choses.»

Certains le déduisent tout seul: «Le client: Je suis très attaché à la performance, il faut que je gagne.
Le coach en son for intérieur: « Donc l’objectif est de diminuer l’angoisse de performance », « lâcher l’hyper virilité ».»

Certains ont un objectif différent de celui du coaché: «Le coaché veut gagner le prochain match. Le coach en revanche veut assurer la réussite dans une perspective à plus long terme.»
L’objectif choisi par le coach est ici un objectif de développement plus général et plus ambitieux.

Certains font visualiser l’objectif: «Faire décrire la situation souhaitée pour en avoir une représentation claire. La faire idéaliser, visualiser.»
On reconnaît ici une technique de PNL pour faire visualiser l’état interne visé. Dans l’ouvrage concerné, la surprise est de voir cette technique utilisée en même temps qu’une approche systémique de type «thérapie brève». En effet, il nous semble que la visualisation de l’objectif augmente la tension au lieu de la diminuer.

Certains déduisent le «vrai objectif» par des correspondances assez mécanistes: «Problème de prise de décision? Renforcer la confiance en soi. Problème de nouvelle responsabilité? –> Objectif de reconnaissance ou de surmonter le sentiment d’imposture. Problème de temps? –> donc Objectif de délégation et donc de confiance dans autrui.»

Une histoire particulière: la passion pour l’objectif! Il s’agit d’un cadre au chômage, à tendance dépressive, qui souhaite de nouveau un coaching.
«Le coach: Je suis d’accord pour vous coacher, lui ai-je dit. Mais il va y avoir du boulot.
J’ai besoin que vous ayez envie de bouger et de changer et de reprendre le contrôle de votre vie…
Il était déprimé. Il fallait trouver un premier levier pour remettre la machine en route. Le levier professionnel me semblait le plus indiqué. Trouver un nouveau job (en priorité). Un coach expérimenté ne sous-estime pas la force d’arrachement nécessaire à faire bouger un individu.
….
Et justement, après quelques temps, il sabotait la recherche de job.
…..
Or le coach attend quelque chose du coaché.
L’attente émotionnelle du coach, c’est de voir le coaché réussir.
Lâcher, ce n’est pas ma spécialité, bon sang.
….
Patrick, je vais te parler franchement. Je pense que tu es en train de saboter ta recherche d’emploi.
Ça commence à me gonfler Patrick.
Patrick s’est mis à vraiment chercher un job. Fin décembre il a deux propositions de direction commerciale.
Je suis parti en Martinique fêter l’an 2000. Et le téléphone a sonné: Patrick s’est pendu.
À cause de son angoisse de ne pas être à la hauteur.
Mais fallait-il le laisser échouer interminablement?
Alors qu’il me payait pour trouver un nouveau job?
C’est plus fort que moi, j’ai besoin de donner un coup de main.
Je ne sais pas rester les bras croisés pendant que l’autre se tape tout le boulot.»

Cela fait réfléchir sur la volonté d’atteindre les objectifs.

Certains auteurs-coachs, peu nombreux, sont plus nuancés: «Le coach centre son attention non pas sur l’objectif visé par le coaché, mais sur les moyens que celui-ci met en place pour l’atteindre.
Il appartient au coach de veiller à ce que les solutions envisagées ne deviennent pas des problèmes pour l’avenir en entrant en conflit ou en contradiction avec cet environnement de la personne.»

D’où une question que je me suis mieux posé: Ai-je la passion pour l’objectif? Ou ai-je de la sympathie pour l’objectif? Est-ce que je me l’approprie? Est-ce que je «coopère» à l’objectif? Ou bien s’agit-il d’une posture toute autre?

En tout cas j’ai pris une décision, quand je quitte un coaché qui va faire face à une échéance (un entretien d’embauche, un challenge, etc.), je ne dirai plus «bonne chance!»

2 – La chaîne de l’épanouissement idéal
Poursuivant mon cheminement au pays du coaching, j’aperçois une chaîne de collines, belle allure, en contact avec le ciel. «La chaîne de l’épanouissement idéal», «Site protégé»

Il s’agit ici du projet que le coach a pour le client, et des promesses de développement personnel.

Je constate une confusion souvent entre coaching et développement personnel: «Le coaching, c’est développer son potentiel, se réaliser, etc.
Le coaching fournit aux personnes: «L’aptitude à communiquer, le sens de la responsabilité sociale et l’attractivité envers les autres.
Le coach se met en quête de gisements inexploités.
Le coaching vise une recherche d’idéal.
Le coaching est un moyen de découvrir et d’expérimenter des aspects inutilisés de son propre potentiel.
Il ne vise pas tant à résoudre un problème qu’à faciliter le développement personnel dans une perspective de production.
L’un des objectifs de l’analyse transactionnelle, en même temps que du coaching, consiste à prendre conscience de ses scénarios relationnels, pour aller vers une relation « adulte-adulte », où chacun se vit comme autonome et responsable.»

Le coach est orienté d’emblée sur le potentiel: «Détecteur de potentiel – Le coach se met en quête de gisements inexploités.»
Ou orienté sur le manager idéal: «Objectif du coaching de manager: aider à passer d’un rôle purement hiérarchique à une posture de manager ressource et porteur de sens.»
Ou le coach a un modèle précis de ce qu’on doit viser: «Une part importante du coaching passe par le développement des compétences: assertivité, capacité de communication, proximité relationnelle, sens de la responsabilité, asseoir son influence, savoir gérer son patron, etc., et autres qualités sociales et transverses.
L’essence du coaching: valeurs humanistes, accomplissement du sujet humain dans l’ouverture aux autres et au monde, développement durable de la personne.»

Le coach décide donc d’une ambition, ou d’un détour. Et le syndrome d’utopie n’est peut-être pas loin.

Le coach semble notamment projeter ses idéaux ou ses normes: «La cliente: Je ne me montre pas trop féminine dans ce milieu d’hommes.
Le coach: Cette différence vous la gommez?
La cliente: Oui, pour être sur un même plan de communication.
Le coach: Vous vous comportez comme les hommes qui vous entourent?
La cliente: Oui.
Le coach: Il ne faut pas vous étonner alors…
Le coach: (en lui-même): Le coach a un sentiment de gâchis face à un vrai potentiel humain et féminin.»

Notons que cet idéal ou ces normes semblent alors l’autoriser à porter des jugements de valeur. Le coach propose (ou impose?) sa vision du monde ou son cadre de référence: Il faut être «++» (position de vie), adulte, respectueux des autres, combatif, épanoui, exprimer ses sentiments.
Une formule disait autrefois à propos des risques de racisme: «Touche pas à mon pote!»
Je dirais bien ici autre chose!

3 – Le Rocher de l’Énergie
Poursuivant mon périple, j’aperçois alors un rocher impressionnant, avec torrents et cascades… Le panneau indique: «Rocher de l’Energie»
Pas mal de coachs finalement disent que leur rôle est de «pousser, stimuler, encourager, inciter, etc.»
«Un des axes du coaching: la stimulation de la performance.
On est là pour pousser le client à mobiliser son énergie et ses talents.»

Le coach est: «L’allié qui protège, éveille, alerte, critique, transmet, stimule, impulse, assure, soutient.
Tout se passe comme s’il se substituait aux inerties et aux résistances qui empêchaient les acteurs d’évoluer.
Il prodigue ses encouragements, soutient, dynamise, motive.
Il pousse la personne à aller plus loin.
Il valorise la réussite. Renforcer l’estime de soi reste le fil rouge du travail.
Avant même de considérer le problème opérationnel, le coach commence par emplir la personne de signes de reconnaissance positifs.
Le transfert est essentiel en coaching: c’est le moteur auxiliaire de démarrage du changement dans le comportement du coaché, auquel le coach sert au début de la mission d’ego de substitution.
Faire le pari de l’éducabilité, porter un regard positif sur la personne tout en ayant vis-à-vis d’elle le plus haut niveau d’exigence.»

Autre image curieuse: «Le coaching fonctionne un peu comme une rééducation.
Le coach engage le coaché à faire d’autres gestes, à prendre d’autres attitudes.
Exemple de quelqu’un qui ne parvient plus à communiquer avec son supérieur et donc le redoute: Allez lui dire bonjour avec le sourire pour éviter l’attente d’un signe de reconnaissance.
Une femme directeur financier, mise au placard: On va l’encourager à aller chez le coiffeur pour l’occasion du séminaire annuel.
Le coach est garde du corps et allié fidèle (??!!)
L’un des buts du coaching consiste à prendre conscience de ces schémas et à les modifier pour obtenir des «cartes» plus conformes à la réalité du territoire.
Il s’agit en quelque sorte de « recadrer » son point de vue.»

On trouve finalement très peu d’auteurs coachs prônant d’autres ressorts du changement: La solution émerge de l’entre-deux de la relation subjective, relation dans laquelle le coaché va trouver l’énergie et la motivation pour aller de l’avant.

Enfin deux autres conceptions du changement: «Le coaching procède par insight… Cette révélation constitue un passage d’un état de conscience à un autre. Tel l’accoucheur….
Le coach procède par questions recadrantes.»

On voit qu’en majorité l’idée est que c’est le coach qui fait le changement, qui provoque le changement, qui veut le changement, qui pousse au changement.

Je repense aux réflexions qui viennent dans le métro

4 – Le royaume des Démons
Je m’approche maintenant d’une zone de marais, et de forêt sombre – Panneau: «Royaume des démons»

Une vision particulière du client apparaît fréquemment dans les ouvrages de coaching. Le client est un être dont il convient de se méfier car il résiste et sabote. Il joue des «jeux», il fait tout pour ne pas changer, etc.: «Le client a des demandes plus ou moins pressantes, des manœuvres plus ou moins habiles.
Il est invité à construire ses propres choix, puis à les assumer. Plutôt que de continuer à chercher des raisons extérieures à ses difficultés ou problèmes.
Tel comportement ou attitude ou croyance du coaché peuvent être – et éventuellement doivent être – sujets à critique et à remise en question. (Alliance pour le changement).»

On critique le client car il n’est pas «ok» et on le lui dit: «À vous voir on pourrait se demander si vous aimez votre équipe.
N’y a-t-il pas une forme de dénigrement pour vous-même dans cette situation?
Quand vous dites cartes vermeils pour parler de vos collaborateurs, j’y vois du mépris.»

Il ne prend pas soin de lui, donc on pratique un interventionnisme pour le protéger: «Ne faites pas cela vous allez droit dans le mur.»

On entre en lutte contre ses versants négatifs: «Je partirai de l’hypothèse que le coach a l’ambition de changer les choses. Or, le coach est constamment accompagné par l’homéostasie. Celui qui demande un changement va donc immanquablement tenter de mettre en échec ce changement.
Le client nous dit: Changez-moi mais ne changez rien.
Face aux incohérences ou inconséquences ou incongruité, on pratique la confrontation.
Le coach doit discerner dans la dynamique interne du coaché les aspects positifs (énergie, ressources) et négatifs (peurs, freins, stress).
Le coach attend du client qu’il respecte le contrat d’affaire.
Il doit aussi affronter le pouvoir que le client exerce à un niveau inconscient lorsqu’il veut saboter le travail par des résistances psychologiques.
Cette capacité à affronter le client justifie notamment les honoraires du coach.
Les démons, ce sont les croyances limitantes que nous avons sur nous-mêmes et sur les autres.
Le coach doit être plus fort que ces démons qui tiennent le client à la gorge. Je me réjouis de pouvoir utiliser ce pouvoir lorsqu’il agit sur ces démons.
Un pouvoir du client sur le coach peut se traduire de façon inconsciente par une très probable attaque des démons du client.»

C’est en Analyse transactionnelle notamment (pas seulement) que l’on valorise les Interventions Parents dites Protectrices.
L’Analyse Transactionnelle Parentages fait d’ailleurs référence à une de ses branches dite École du parentage.
Je commence à avoir un peu d’expérience, et j’ai assisté à de telles interventions (ou confrontations protectrices ou «thérapeutiques»).
Dans les faits, je ne les ai jamais vues utiles. Elles ressemblaient plus à des prises de pouvoirs sur le client, et venaient souvent après un sentiment d’échec du coach…

Le client ne fait pas réussir le coach….
La résistance est-elle un problème du client? Ou du coach?

5-L’île de l’autonomie
Oh, une île, charmante, et fiérote. Le panneau indique «Ile de l’autonomie»
J’en fais le tour avec plaisir. Oh! surprise: c’est une presqu’île!

J’ai été surpris par l’importance accordée à l’autonomie, disons plutôt à la volonté d’autonomiser, souvent répétée:
«Les personnes doivent apprendre à penser et agir par elles-mêmes.
Aider l’autre à se débrouiller seul.»

On est là pour rendre le client autonome, proclame-t-on.
Mais on fait tout pour qu’il ait besoin de nous.
La volonté d’autonomiser aboutit à des loufoqueries: «Si le client demande l’heure, on lui explique comment construire sa propre pendule…»

Dans les faits, dans la pratique des dialogues de coaching, cette autonomie prônée est moins évidente: «Le client cite plusieurs préoccupations, laquelle choisir?
Si on laisse le client choisir, il risque de choisir la préoccupation de surface: « Je ne suis pas assez reconnu ». Impasse, car, alors, on n’avancera ni du côté de l’expression de soi ni sur l’acceptation de la différence.»

Ainsi le coach choisit le problème, choisit les priorités, choisit l’ambition.

Dans la manière de «vendre» le coaching, également, cette autonomie est moins évidente. Le coaching est souvent proclamé comme nécessaire.
Le coaching est une nécessité: car un manager n’a pas le recul, car on est plus efficace à deux, car on a un potentiel inexploité… : «On peut s’interroger à un niveau éthique sur l’aptitude d’un manager, pas toujours bien formé au management, à servir à la fois de garant opérationnel et de parrain de la croissance.
L’acteur est dans la pression opérationnelle, le coach prend du recul. Une expérience: des fourmis construisent des nids. L’expérience montre que par deux par trois, elles sont plus efficaces que seules.
Des actions de changement sont menées au quotidien en dehors de tout coaching. Mais les préparer avec un co-acteur externe qui, du fait de son métier, a une expérience répétée des situations de changement, en améliore significativement l’efficacité.
Le coach apporte ce regard extérieur devenu indispensable pour se positionner.»

Je pense alors à ces prédicateurs américains qui pourraient modifier leur prêche: You all need coaching!
J’en tire le sentiment
– qu’il n’est pas requis de prêcher l’autonomie;
– qu’il est précieux de respecter l’autonomie du client à chaque étape du dialogue: Où en est-il? Quelle priorité met-il ? Comment se positionne-t-il? Suis-je libre de ne pas avoir «besoin» de le «clientéliser»?

6- Un zoo sympathique
À l’étape suivante j’aperçois une sorte de zoo. Derrière les grillages, de sympathiques coachés sont en train de vaquer. J’aperçois alors les panneaux: «Il est interdit de jeter des conseils aux coachés» – «Ils ont déjà tout ce qu’il faut comme ressources» – «Merci de ne pas donner de solutions aux coachés»
En fait, il y a tout un débat sur donner ou non des conseils. Il y a les «puristes»: «Dans le coaching, on ne doit pas donner de conseil.» Et les libéraux: «Il n’y a pas d’opposition entre conseil et coaching…»

Mon constat ici est surtout une certaine confusion entre: Expertise, Conseil, Coaching et Développement personnel.
«Nous ne faisons pas de conseil, disent ces coachs, car nous n’imposons pas les solutions que nous donnons, le client choisit…» Il s’agit dans ce cas, bien sûr, de conseil, sur un mode disons participatif. Et ces conseillers-là se démarquent en fait de… l’expertise, qui, elle, prend position. Mais si ce n’est pas de l’expertise, c’est bien du conseil.

D’autres, on l’a vu, disent pratiquer le coaching alors qu’en fait il s’agit de développement personnel.

Pas mal font du conseil tout en affirmant ne pas en faire, par exemple: «Le rôle du coach consiste aussi à modéliser des comportements dont le coaché pourra s’inspirer dans les situations de la vie de tous les jours.»
Un exemple formulé par un coach «pur» qui prétend ne pas donner le moindre conseil: «Le coach: Le tac au tac que vous pratiquez n’est peut être pas la meilleure façon de montrer que vous êtes proche de vos collaborateurs.
Le client: Ah! si je comprends bien, il faut que j’arrête le tac au tac, c’est un peu ce que vous me dites!»

Pour beaucoup, le coach est en position haute dans la relation. Il sait et voit en avance. C’est un guide avec une vision d’avance. «À l’écoute des mouvements de l’environnement (…), le coach est un témoin des évolutions. (…) Sa vision globale, tant du fait de ses interventions dans différentes entreprises (…) en font un partenaire du maintien des capacités d’analyse du coaché. Permettre à son client de rester dans le coup est un de ses atouts.»

Il stimule d’autant plus qu’il a une capacité créative: «Son extériorité lui permet d’être un stimulateur d’inspiration. Son aptitude à faire des transpositions d’une compagnie d’assurance à un laboratoire (…) etc. en fait un véritable catalyseur de la fonction créative. Sa naïveté même en fait un pourfendeur des modèles établis.»

Ce coach déclare: «Il n’y a pas de conseil en coaching, pas de transfert d’outil, il n’y a qu’une réflexion et une recherche de solution adaptée et personnalisée.»
Puis il ajoute un exemple: «Cas dans une chaîne hôtelière: plusieurs séances de coaching sont consacrées à limiter les effets de l’intégration, à chercher comment influencer le PDG, à trouver des synergies qui intéressent les opposants potentiels, à préparer la réunion annuelle du comité, etc.»
On sent bien qu’il ne s’agit sans doute pas d’une expertise mais clairement d’un conseil participatif.

Tel autre prend cette comparaison: «Le coaching c’est comme la conduite accompagnée: on connaît le trajet. On alerte.» Le coach ici prétend ne pas faire de conseil puisqu’il ne conduit pas…

Le consultant-formateur expérimenté rencontre ici une difficulté dans un rôle de coach: c’est qu’il a capitalisé énormément de savoir-faire (en assertivité, en négociation, en gestion du temps, en développement personnel… Il s’est passionné pour ses divers outils, les méconnaissances, les drivers, les rackets, etc. Il en a rempli des armoires (et je ne parle pas que de moi…)
Or, le métier de coach est en grande partie un métier de questionnement. Alors abandonner tous ces outils? Toute cette richesse de concepts? Toute cette finesse d’analyse et de réflexion?
Dans Palo Alto, la valeur ajoutée du «coach» porte sur:
– le raisonnement
– les niveaux logiques
– les solutions de bons sens et savoir faire le ménage.

Par exemple, si la plainte est: «Je n’arrive à rédiger ma plaquette commerciale», le ménage (de «bon sens» apparent) peut consister à demander si la difficulté porte sur:
– avoir la matière
– savoir la sélectionner
– savoir la rédiger
– savoir la mettre en page.

Il me semble que tous les outils du consultant pourraient, avec profit, être convertis en capacité à retrouver le «bon sens» du questionnement, pour faire le ménage et clarifier.

Ne serait-ce pas une façon de garder la position basse: si on pose des questions intelligentes de façon naïve, transformées en «bon sens»?

7- Au paradis de l’intimité
Au pied de la septième colline, une zone bucolique, des sous bois et des grottes, une indication: «Paradis de l’intimité».
Et des panneaux, ça et là: «Coaching, silence», «Merci de respecter l’intimité des coachings», «Coaching en cours, ne pas tenter d’entrer», «Interdit au N+1 et au DRH»
Il s’agit, bien sûr, ici de la question du coaching prescrit: ménage à deux ou ménage à trois.

Constatons des positions pas claires du tout sur le coaching prescrit: «La demande est l’expression de la volonté du coaché.
Le coaching prescrit pose un problème déontologique, et d’autant plus qu’il est la condition d’autre chose. Il y a une pression exercée sur un individu en difficulté. Si l’individu est volontaire, on se trouve en présence d’une double contrainte.»

Un coach cite un cas de coaching prescrit avec réticence du coach. Il finira par provoquer une première réunion à trois… après plusieurs séances! Et il montrera alors au DRH et au N+1 que: «La demande du coaché est d’une autre nature. Le coach a su la faire émerger.»
Bref le coach a pris le pouvoir.

Soupçons contre l’entreprise, attitude défensive: «Il n’est pas rare que la hiérarchie demande au coaché comment va le travail, en êtes-vous content? Tant qu’on en reste là ce n’est pas très grave. Nécessité absolue du secret professionnel envers l’entreprise.» Une rare situation apparemment où l’entreprise paye un fournisseur mais ne devrait pas avoir la parole…

La notion de contrat triangulaire est souvent ignorée: «La demande de l’employeur est rarement communiquée clairement au coaché qui arrive souvent avec une information incomplète ou biaisée.»

Le coach, peut-être influencé par le modèle de la psychothérapie, est allergique au coaching prescrit: «J’ai des doutes sur cet « accompagnement téléguidé ».»

Sont en revanche à l’aise sur le contrat triangulaire les coachs inspirés de l’Analyse transactionnelle comme ceux imprégnés d’approche systémique. Tel coach «systémicien» va plus loin dans «l’ouverture au système». Il va jusqu’à impliquer ou faire intervenir des collaborateurs, des collègues, des supérieurs, avec l’idée d’une «triangulation active». Le coaché, à l’inverse d’être le bouc émissaire du système, devient le «client émissaire» au sens où sa difficulté ou sa demande reflète ou prolonge celle de l’entreprise.

Alors coaching prescrit: confidentiel ou ouvert?

Il paraît évident que soient partagés objectifs et bilan avec les prescripteurs. Mais pourquoi ne pas ouvrir un poil plus loin: faire des points en cours de route, plus de suivi, avec plus de sollicitations de l’appui constructif des contraignants?

Conclusion
Tout cela me fait penser à ce patient qui va voir son médecin de famille, le docteur Martin.
«Docteur, voilà.. Je prends de l’âge, et … je voudrais savoir comment faire pour vivre le plus longtemps possible… – Le plus longtemps possible? – Oui, c’est ça…, le plus longtemps possible… – Hmm… Hé bien, il vous suffit de supprimer… le tabac… les gros repas, la charcuterie, le sucre. Et puis les desserts. Et toutes les excitations. Les fêtes, les manifs. Les sports qui sollicitent. Les soirées arrosées. Les femmes, bien sûr, bien sûr. L’alcool, ça va de soi. Une vie paisible, marcher … – Aaah! Hmm! Et si je fais tout ça … je vais vivre plus longtemps? – Plus longtemps, c’est difficile de l’affirmer, en revanche ce qui est certain c’est que la vie va vous paraître… vachement plus longue!»

J’ai trouvé que le docteur Martin était un sage et je suis allé lui demander: «Dites-moi Docteur, je rêve d’être un coach heureux. Et est-ce que je serais un coach heureux si…
– Je ne soutiens plus activement les objectifs de mes clients?
– Si je n’applaudis plus, si je ne dis plus bonne chance?
– Si je ne donne plus d’outils, de concepts (ou alors sous forme de questions de clarification) et si je les remplace par des questions de bon sens?
– Si je renonce à des grilles passionnantes (les jeux, les rackets, les symbioses, et j’en passe)?
– Si je fais de la logique (en faisant le ménage à tous les niveaux) plutôt que de la fine psychologie?
– Si je ne cherche plus à partager mes belles valeurs avec mes clients (comme « être OK »)?
– Si même je n’ai plus d’ambition pour mon client?

Il m’a regardé puis a murmuré: «Un coach heureux avec tout ça… hmm, c’est difficile à affirmer. Il est probable même que ce sera plus frustrant pour vous. En revanche, vos clients s’en porteront peut-être mieux. Ce sera davantage « leur » changement que le vôtre…»
Et il a ajouté: «Mais ne vous précipitez pas à faire tout cela. Pensez bien aux inconvénients…»


© D. Delaunay/Paradoxes

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