Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la XVème journée de Rencontre de Paradoxes, le 15 octobre 2016
Audrey BEAUMONT, psychologue

Thérapeute en formation à l’approche paradoxale j’ai bénéficié de la méthode pour un problème personnel. J’espérais bien entendu le résoudre, mais également appréhender « de l’intérieur » la méthode. Je vous propose de plonger avec moi au cœur de cette expérience : Est-ce que « ça marche » lorsque l’on connait les techniques ? Suis-je parvenue à tout décoder telle une bonne élève ? Qu’est ce qui m’a aidée ? Et 8 mois après, où en suis-je ? Qu’ai-je découvert de nouveau en visionnant la vidéo de l’intervention ?

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Il y a un an, lors de la journée de rencontres, j’étais la cliente d’Irène pour une démonstration. Certains s’en souviennent peut-être, j’avais évoqué un problème personnel et demandais à Irène de l’aide. Depuis plus d’un an, j’étais hantée par la culpabilité après le suicide d’un demandeur d’emploi accompagné dans le cadre de ma mission de conseillère en insertion professionnelle. J’avais la sensation de ne pas avoir mis tout en œuvre pour l’aider et me repassais sans cesse le film des derniers jours. Je pensais à lui très souvent et me demandais comment j’arriverais à accompagner des personnes dépressives dans mon futur exercice libéral de psychologue.
L’expérience que j’ai vécue lors de cette démonstration a été assez bouleversante pour moi, et j’oserais même dire assez troublante puisqu’au sortir de ces 45 minutes d’intervention, j’avais la certitude d’avoir résolu mon problème, sans pour autant être capable de dire comment mon raisonnement avait évolué, et pourquoi j’avais cette sensation réelle d’apaisement. J’étais encore moins capable de dire avec précision le ou les moments où tout avait basculé dans mon esprit.
Lorsque 6 mois après, Irène m’a proposé d’intervenir lors de cette journée avec pour thème de décrypter ce qui avait été aidant pour moi dans la résolution de mon problème, je me suis dit, passé l’effroi de parler en tant que novice devant une assemblée d’érudits : « mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter !!? Je n’ai rien à dire… Je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé ! »

J’ai donc choisi aujourd’hui de vous livrer dans un premier temps ce que je me rappelle avoir « vécu » en « live » et les souvenirs que j’en ai en tant que « cliente apprentie paradoxienne ». Puis dans un deuxième temps, ce que j’ai découvert lors du visionnage de l’enregistrement vidéo de la séance : est-ce le même film ? Ai-je été capable de dire à quel(s) moment(s) le chamboulement s’est produit dans ma tête ? Et en tant « qu’apprentie paradoxienne » quelle relecture en ai-je fait ?

Est-ce que ça marche quand on connaît les techniques ? Parvient-on à décoder ?
Durant la démonstration, la première chose que je repère c’est le temps qui m’est laissé pour raconter mon histoire, et l’absence d’intervention orale et gestuelle d’Irène : pas de « hum hum » ou de « oui oui », de « je fais oui de la tête » ou encore de réactions que j’aurais pu interpréter comme un jugement, une émotion contradictoire ou encore une impatience de me voir finir mon exposé… Non, je suis face à quelqu’un qui m’écoute, qui est concentré sur les moindres détails de mon histoire, qui me fait comprendre que tout est important, et qui me comprend… « C’est par là que commence l’adoption de la vision du monde du client me dis-je… elle se raconte le film de mon histoire, elle est avec moi, elle me suit… » Même si je n’ai pas de mal à me raconter et que je vais facilement dans les détails, quitte à ennuyer mon auditoire… je sens que là, je peux le faire, et que c’est même nécessaire…
Suite à mon exposé, Irène fait une première reformulation puis un recadrage que j’interprète comme allant à contresens de mon méta-message « je ne dois pas culpabiliser » : elle me dit « c’est normal de se demander si on aurait pu empêcher ça lorsqu’on a été en contact avec quelqu’un… ».
Je me souviens ensuite ne pas avoir acheté un argument qu’elle me présente pour étayer son recadrage et je me dis alors qu’elle n’a pas encore assez exploré ma vision du monde !
Puis très vite je l’avoue, je laisse tomber l’apprentie paradoxienne pour devenir une cliente comme les autres, et, repérant de temps à autre des éléments d’une stratégie : un questionnement sur la vision du monde du problème « est-ce que tu identifies des raisons qui pourraient expliquer que ça te hante à ce point ? », ou l’utilisation du «  te connaissant comme tu te connais… », je n’analyse plus rien d’autre que mon problème et je me concentre sur l’instant présent…

Ce qui m’a aidée
La conclusion que j’ai faite de l’intervention était (et est toujours d’ailleurs) : « Finalement c’est bien qu’une telle chose me soit arrivé avant de m’installer, car je serai certainement confrontée à nouveau à une personne qui se suicide, et cette fois-ci je serai thérapeute. C’est une sorte d’apprentissage, de « répétition » qui me rendra plus vigilante face à mes futurs clients. Ça ne me rend pas plus fragile comme je le pensais avant. Je ne vivrai pas mieux les choses si cela m’arrive à nouveau, parce que ce n’est pas possible de s’habituer à ce type de situation, et c’est aussi cette sensibilité qui me fait être et devenir une professionnelle attentive et vigilante. »
Au sortir de la démonstration, malgré le « brouillard » dans lequel j’étais avec cette sensation que ça va mieux mais sans savoir vraiment pourquoi, j’avais l’impression que tout s’était joué à la fin, lors d’un exemple personnel qu’Irène m’avait donné sous forme de recadrage (elle avait cité J-J. Wittezaele à cette occasion). C’était comme si je ne me souvenais que de ça (une sorte d’effet de récence en quelque sorte ?) et pourtant, j’étais étonnement incapable d’énoncer le contenu exact de ce recadrage…
Lorsque j’ai visionné la vidéo de l’intervention, j’ai pu me rendre compte que ce dernier recadrage n’a finalement été que le point final d’un questionnement et d’une argumentation stratégiques. Ce qui s’est joué avant aura été tout aussi efficace…

Quelle relecture de l’intervention ?
La relecture que j’ai faite de l’intervention m’a permis de voir l’évolution de mon raisonnement, et comment Irène m’a suivie et m’a permis d’élargir, de reconfigurer la situation… et à partir de cela, de me suivre encore… La portée du « partir de là où en est le client », « ne pas savoir pour lui, ni mieux que lui », ou encore « ne pas vouloir pour lui » a pris tout son sens.
Son questionnement sur « est-ce que tu identifies des raisons qui pourraient expliquer que ça te hante à ce point ? » a, me semble-t-il marqué un premier tournant dans l’intervention, puisque cela m’a permis de faire apparaître ma culpabilité de « psy » : « je culpabilise aussi et surtout car je suis psychologue et que j’aurais dû pouvoir faire quelque chose ». Cet élément allait servir plus tard d’argument à Irène pour aller à contre-sens de mon méta-message en me disant « ce ne sera jamais moins douloureux de voir quelqu’un se suicider et tu culpabiliseras toujours puisque tu es psychologue et que tu as à cœur d’aider les gens… ».
Le questionnement sur l’objectif a aussi été important pour moi. Bien qu’assez clairement énoncé par Irène « ça ne marche pas ça, ça fait partie de tes tentatives de solution », le fait de me rendre compte que l’objectif que je souhaitais (me dire que ce n’est pas de ma faute) n’était qu’en fait une tentative de solution de plus… cela m’a permis de me détendre… et finalement d’énoncer un objectif « réaliste » (penser à la personne de manière moins douloureuse).
Je pense que mon problème a commencé à ne plus être un problème au sens Palo Alto du terme lorsque Irène a fait un recadrage sur « l’utilité des remords dans une telle situation en termes d’apprentissage ». Ce recadrage a été adapté avec minutie à mon cas personnel quelques propos plus tard lorsqu’elle me dit qu’« en tant que thérapeute il faut qu’on ait envie d’aider les gens sinon on ne fera rien… » puis qu’elle rajoute que « ce qui est intéressant dans cette histoire, même si c’est douloureux c’est l’idée d’avoir fait tout ce qu’on peut quand même… ». Et elle me parle alors de « l’aiguillon de la conscience professionnelle ».

Cette série de recadrages est à la relecture ce qui m’a fait changer ma vision du monde sur mon problème : cela m’a parlé, car loin d’éloigner le spectre de la culpabilité de ne pas avoir tout fait pour cette personne-là, je me suis dit que ce cas-là justement allait me servir de « rappel » pour la suite, lorsque je serais installée en tant que psychologue. L’expérience m’aura servi pour mieux me préparer à mon futur exercice.
Si je compare mon ressenti au sortir de l’intervention en 2015 et à la relecture de l’intervention après le visionnage de la vidéo, je constate que je voyais clair dans le raisonnement qui s’était fait dans mon esprit, mais que j’avais du mal à précisément définir ce qui m’avait amenée à ce raisonnement… Finalement, le recadrage de fin de démonstration dont je me souvenais n’était peut-être que la partie émergée de l’iceberg à laquelle j’avais accès immédiatement dans ma conscience. La série de recadrages effectués par Irène ont permis, petit à petit, de faire évoluer mon raisonnement et me permettre d’avoir accès à une autre manière de voir mon problème, une autre vision du monde…

Un an après : où j’en suis ?
Un an après, je suis forte de plusieurs apprentissages :
– Tout d’abord, sur le plan de ma pratique de l’approche systémique paradoxale, je suis plus que jamais consciente que les recadrages sont fondamentaux dans notre intervention auprès du client. Il ne suffit pas de faire UN recadrage « spectaculaire », mais dans la très grande majorité des cas, plusieurs recadrages sont nécessaires pour modifier petit à petit la vision du monde du client.
– Ensuite, lorsque je pense au demandeur d’emploi que j’ai accompagné, j’y pense avec le sourire, même si la tristesse est toujours présente… Je ne ressens plus ce sentiment de culpabilité tout en étant consciente que j’aurais peut-être pu faire quelque chose. C’est moins douloureux car, bien entendu le temps fait son œuvre, mais surtout, ce que je pensais être un point faible est devenu un point fort.

Après 9 mois de pratique libérale, j’ai rencontré des personnes fortement déprimées avec des pensées suicidaires aussi. J’ai abordé ces cas sans peur particulière mais bien décidée à tenir en éveil l’aiguillon de ma conscience professionnelle…

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© Audrey BEAUMONT/Paradoxes
Pour citer cet article : Audrey BEAUMONT,  « De l’autre côté du miroir : quand une thérapeute devient cliente » 2016 https://www.paradoxes.asso.fr/2016/10/de-l’autre-cote-du-miroir-quand-une-therapeute-devient-cliente/

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