Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Ou quand la vie, c’est la liberté de mouvement.
Communication à la dixième journée de Rencontre de Paradoxes, 15 octobre 2011

Emmanuel Muh, consultant et coach

A travers un témoignage, nous essaierons de comprendre pourquoi un jeune coach, formé au métier par ailleurs, pourrait aujourd’hui choisir le modèle de Palo Alto et les conséquences éventuelles sur sa pratique.
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« Pour pratiquer le modèle de Palo Alto, c’est simple : il suffit simplement d’arrêter les tentatives de solutions du client…».

Cette petite phrase entendue au cours d’une de mes formations de coaching, ainsi que mon expérience de cobaye pour une démonstration au cours de laquelle j’ai ressenti la puissance de ce modèle sur moi… Il n’en fallait pas plus pour que je m’intéresse au modèle.

Emmanuel Muh © Paradoxes

Emmanuel Muh © Paradoxes


Choisir un référent théorique pour pratiquer le coaching n’est pas évident. Il en existe de nombreux, une bonne partie pouvant être considérés comme efficaces du moment qu’ils sont appliqués avec cohérence.

Pour arriver à cela, il faut toutefois que le coach trouve un modèle congruent avec lui-même, ce qui n’est pas une mince affaire ! Tous les modèles ne véhiculent pas les mêmes valeurs, les mêmes conceptions du monde… La tentation est forte (et certainement saine) d’aller butiner à chaque fleur, en glanant ici et là des outils issus de chaque théorie, en se faisant une « culture générale » et en mettant ainsi en perspective ce qui existe. In fine toutefois, il semble incontournable de s’immerger profondément dans (au moins) un de ces référents théoriques afin d’en maîtriser au maximum les subtilités pour pouvoir intervenir efficacement auprès de ses clients.

La plupart des personnes qui se trouvent ici ont un jour opté pour le modèle de Palo Alto. Mais qu’est ce qui a bien pu nous attirer dans ce modèle ? Qu’est-ce qui se cache derrière son apparente simplicité ? Pourquoi s’en être emparé comme référent théorique ? Quelles sont les conséquences sur notre pratique et notre relation au monde ? Sans avoir l’ambition d’apporter des réponses définitives, je souhaite vous donner quelques pistes de réflexion à la lumière de mon expérience, de mes lectures et de mes rencontres avec des amateurs du modèle.

Changer sa propre relation au monde

Depuis l’enfance, on nous a habitués à nous baser sur des théories, à faire des cases dans notre cerveau afin de classer, organiser, trier, comprendre. Grâce à ces cases, notre cerveau filtre les informations et « guide » notre appréhension et notre compréhension du monde extérieur.

Adhérer au modèle de Palo Alto suppose d’adhérer à ses prémisses constructivistes et systémiques. Ces prémisses nous invitent à penser que les cases dans notre cerveau, qui sont la base de notre réalité de 2nd ordre, sont aussi bonnes que celles de notre voisin ; que nous avons la liberté et la responsabilité, comme dans un jeu de rubik’s cube, de réorganiser ces cases (voire même d’en créer d’autres) pour obtenir une compréhension plus adaptée de ce qui nous entoure. Chaque problème dont nous traitons doit ainsi absolument être pris dans son contexte pour que l’on puisse travailler sur les interactions qui donnent sens à ce problème. Enfin nous adoptons une démarche de « zéro diagnostic », non pathologisante et non déterministe.

Durant les formations que j’ai suivies, j’ai été surpris de constater à quel point il était difficile de se poser sérieusement la question des prémisses et de considérer dans quelle mesure on accepte d’y adhérer.

Difficile d’abord pour moi, ou pour tout « jeune » coach qui n’a pas passé une dizaine d’années à s’immerger dans une autre théorie au point de faire siennes ces prémisses. J’ai suivi une formation généraliste en coaching, ayant eu la chance d’avoir des apports d’intervenants et de théories très variés. J’y ai trouvé le bel avantage de me faire une culture riche et de dénicher, de ci de là, un florilège d’outils. J’essaie ainsi d’avoir une posture intégrative vis-à-vis des différentes méthodes disponibles.

Je me suis aperçu après coup, que j’avais reçu nombre d’enseignements pas forcément compatibles avec les prémisses Palo Altiennes. Il m’a fallu les mettre en parallèle. Cela m’a demandé des efforts de réflexion et d’adaptation, cependant peu de « désapprentissage ».

Le travail sur les prémisses est encore plus difficile pour des « professionnels » d’autres méthodes, qui ont totalement intégré les fondamentaux d’un autre référent théorique. C’est pour eux de l’ordre du désapprentissage et d’une profonde  remise en question. Lors de mes formations à l’Ecole du Paradoxe, la démarche, contraire au modèle de Palo Alto, que je crois avoir vue revenir le plus souvent est le fait de « décontextualiser » la problématique du coaché. Par exemple avec des questions du genre : « le problème de prise de décision que vous exposez aujourd’hui ne serait-il pas récurrent dans votre vie ? A votre avis, quelle forme prend-il dans le cadre familial ?»

Dans tous les cas, le lien avec le reste de nos connaissances n’est pas chose aisée. Il est nécessaire d’entreprendre un véritable travail sur soi et de changer sa relation au monde. Facile de prôner le « zéro diagnostic », mais comme je vous le disais plus haut, nous sommes tous habitués depuis tout petit à raisonner par cases et par relations causales… Facile de prôner le constructivisme et le non déterminisme, encore faut-il réussir à changer ses habitudes de pensée et être véritablement plus « souple »… C’est un effort de chaque instant, du moins au début, et pour un long moment…. La perspective de changer sa propre relation au monde est un argument qui n’a pas vraiment de quoi séduire qui souhaiterait choisir ce modèle…..

Sans protection ni filet à chaque séance

Le modèle de Palo Alto propose de réduire la complexité de la situation exposée par notre client à l’aide de quelques méta-questions (4 à 6 selon les auteurs) : qui est le client, quel est le problème, quel est l’objectif, quelles sont les tentatives de solution ? Elles constituent l’outil précieux qui nous permet de construire notre stratégie à chaque intervention.

D’autres méthodes permettent d’avoir recours à des tests systématiques, des démarches cadrées pas à pas qui permettent au coach de s’appuyer sur un canevas d’intervention existant. Des cases prédéterminées, dans laquelle on peut classer le client, permettent d’identifier une liste d’outils à utiliser, une check-list de choses à faire. La mise en œuvre est plutôt balisée et rassurante pour le coach (comme pour le client qui achète) et garantit un certain résultat.

Le modèle de Palo Alto, lui, ne fournit aucunement un tel plan de travail. Les méta-questions sont une grille d’analyse qui permet au coach de construire sa stratégie. Il faut ensuite une posture paradoxale, une grande acuité d’analyse et une grande finesse relationnelle, ainsi qu’une bonne dose de créativité pour développer une stratégie d’intervention et d’action adaptée à chaque client, dans chaque séance.

Même si cette stratégie « sur mesure » est sans aucun doute plus efficace et plus pertinente pour nos clients, ce n’est cependant pas facile à mettre en œuvre, ni à vendre. Et travailler ainsi peut être anxiogène pour le coach, surtout à ses débuts. Il travaille avec chaque client, et à chaque séance, sans filet. Et il doit se renouveler à chaque fois……

S’entrainer encore, encore et encore….

Comment alors arriver à une maitrise satisfaisante du modèle de Palo Alto ?

Personnellement, je ne vois pas d’autres solutions que de s’entrainer ; comme tout sportif, de travailler et travailler encore la technique pour affiner le geste ; pour arriver, comme tout grand sportif de haut niveau à une maîtrise telle du geste que l’ont peut enfin laisser cette technique de coté pour se consacrer à la spécificité de son match… ou de notre client.

Je me souviens avoir revu en formation, pour illustrer les filtres de notre cerveau et la réalité de second d’ordre, un extrait de Robocop quand on lui pose un dispositif sur le visage qui lui sert à analyser ce qui se passe autour de lui. Je me demande si, finalement, Palo Alto ne nous transforme pas en Robocop : la tentation est forte dans tout ce que nous faisons, dans toutes les relations que nous avons au quotidien, d’analyser notre environnement avec ce filtre quasi obsessionnel….. toujours à la recherche de comment nous pouvons ainsi améliorer notre pratique….

L’obsession et la folie ne sont pas loin…

Retrouver la liberté de mouvement : la convergence de différentes pratiques

Alors pourquoi choisir le modèle de Palo Alto comme référent théorique et ne pas se tourner vers un autre ? Au risque de vous décevoir,  je n’ai pas la réponse…. Ce doit être tellement différent d’une personne à l’autre…. Alors, au mieux, je vous propose de partager avec vous mon expérience et vous exposer pourquoi j’ai choisi ce modèle.

Je vous l’ai dit en introduction : il est important de choisir un modèle qui soit congruent avec ce que l’on est. Ainsi, la façon que j’ai aujourd’hui de comprendre et de pratiquer le modèle de Palo Alto coïncide avec d’autres disciplines que je pratique : le qi gong et le chant.
Pour moi, la vie implique le mouvement permanent. Ce mouvement doit pouvoir se faire à l’intérieur de chaque système et d’un système à l’autre. Bref, partout et tout le temps.
Alors, rien d’impossible. Ou plutôt, tout est possible. La vie continue, nous nous transformons avec notre entourage. Et pour cela, nous pouvons compter sur nos propres ressources, accessibles, dans lesquels nous puisons depuis toujours et qui nous permettent d’évoluer.

Les problèmes surviennent lorsque le mouvement s’arrête, lorsqu’un blocage survient. Nous n’avons plus correctement accès à nos ressources. Nous ne pouvons plus réellement évoluer. Tout ce que l’on plaque par-dessus pour essayer d’avancer est un artifice qui peut donner le change, pendant un moment, dans une certaine limite…

Bien entendu, nous enrichissons nos ressources en permanence. Il est parfois nécessaire d’être formé à certains concepts, d’apprendre certaines notions, d’adapter certains nouveaux comportements, d’expérimenter de nouvelles choses, afin d’atteindre son but. Tout cela fait partie de nouveaux apprentissages, dont nous avons besoin, ou pas, selon les objectifs que l’on se fixe.

Alors, oui, je considère que le modèle de Palo Alto est un des plus compliqués à mettre en œuvre parmi ceux que j’ai eu l’occasion de découvrir. Qu’il peut paraître simple dans une première approche, mais que sa pratique demande une telle acuité et une telle vigilance, qu’elle demande un entrainement de haut niveau… Mais c’est une méthode incomparable pour permettre au coaché de retrouver sa liberté de mouvement qui est pour moi la base de la vie.

Vous pouvez m’objecter, et vous aurez raison, que, d’un autre coté, le coach doit trouver cette liberté de mouvement dans son intervention, pour accéder véritablement à ses ressources, être ouvert et tout entier dans l’échange et la relation avec son client, laisser la place à son client pour le laisser évoluer. Se concentrer sur la technique d’un modèle peut paradoxalement bloquer notre intervention. Il s’agit donc pour le coach, tout en faisant appel à une certaine façon de voir le monde, de se donner la liberté d’être avec son client. Si affiner et parfaire son intervention Palo Altienne peut être le travail d’une vie, il s’agit en séance de réussir à oublier la technique pour laisser s’exprimer l’art et le plaisir dans le lâcher prise, et par là, laisser la liberté de mouvement (ou pas….) dans l’interaction avec son client, et dans sa vie.

J’aime à croire que le secret de la pratique et de la transmission des différentes activités dont je vous ai parlé (qi gong, chant, modèle de Palo Alto)  pourraient se trouver dans ces quelques mots «laisser s’exprimer l’art et le plaisir dans le lâcher prise ».  Je relisais dernièrement François Roustang – et je terminerai là-dessus – et je vous livre ces quelques lignes que j’ai trouvées inspirantes, et à propos : « sous l’effet de cette potentialité, tous les n’importe quoi communiquent, et ils sont susceptibles de constituer de nouvelles connexions exigées pour la recomposition du contexte de l’existence »[1].

Merci de votre attention.

Emmanuel Müh © Paradoxes


[1] Roustang François, Savoir attendre que la vie change, Ed. Odile Jacob Poches, 2008, p.105

Pour citer cet article:Emmanuel Müh, Choisir Palo Alto, de l’inconscience à la folie. Ou quand la vie, c’est la liberté de mouvement, 2011. www.paradoxes.asso.fr/2011/10/choisir-palo-de-linconscience-a-la-folie/
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