Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la XIIème journée de Rencontre de Paradoxes, 5 octobre 2013
Sabine GUITEL
, urbaniste libérale.

Les architectes, urbanistes et paysagistes des Conseils en Architecture Urbanisme et Environnement (CAUE) conseillent les collectivités dans l’élaboration de projets qui impliquent une multitude d’acteurs (élus, propriétaires fonciers, habitants, promoteurs, services administratifs, associations …). Chacun de ces protagonistes a ses intérêts, architectes, urbanistes et paysagistes compris ; chacun les défend et peut bloquer ou faire avancer un projet d’aménagement, de construction, de concertation …
C’est alors que l’approche de Palo Alto intéresse les professionnels des CAUE. Identifier les acteurs, déceler les interactions qui se jouent peut éviter qu’études ou projets restent dans un tiroir !

Sabine Roumet Guitel ©Paradoxes

L’urbanisme est de fait systémique puisqu’il procède de l’ensemble des activités humaines, du moment qu’elles s’articulent dans letemps, avec les territoires. Il y a plus de 20 ans, au cours de mes études au CESA (Centre d’études supérieures d’aménagement), j’ai par conséquent été initiée à l’analyse systémique. Confrontée ensuite dans mon exercice professionnel au montage et à l’accompagnement de projets complexes (documents de prospective territoriale, programmation de quartiers nouveaux, reconversion de morceaux de villes…), j’ai eu besoin de travailler sur ce que nous appelons dans notre jargon le jeu d’acteurs, c’est à dire les interactions entre élus, professionnels de l’aménagement et habitants…
J’ai alors suivi une initiation à l’Intervention Systémique Brève en 2002. J’ai tenté ensuite d’appliquer cette approche dans le champ de l’urbanisme, avec beaucoup de curiosité, de zig-zag et de ravissement.

En 2011, un architecte, directeur de CAUE avec qui je travaillais assez régulièrement en tant qu’urbaniste libérale, me propose d’animer une formation qu’il organiserait pour les salariés des CAUE, sur l’intervention systémique en urbanisme. J’ai demandé à Irène de m’aider. Nous en sommes maintenant à notre deuxième session (une première de 6 jours en 2012 et la deuxième de 6 jours va s’achever d’ici la fin de l’année) et ce n’est pas fini ! Cette formation à l’accompagnement au changement en urbanisme avec l’utilisation de l’approche de Palo Alto est un gros succès et fait grand bruit dans le réseau des CAUE qui compte environ 1 500 salariés.
J’ai préparé cette petite intervention sur proposition d’Irène et Chantal pour présenter ce qui explique ce succès et pourquoi cette approche intéresse les architectes, urbanistes et paysagistes qui ont participé à ces 2 premières sessions.
Les propos que je développe se basent à la fois sur ma compréhension du contexte dans lequel se trouvent les salariés des CAUE et sur les retours des stagiaires après formations.

Pour commencer, je vais préciser ce qu’est un architecte, un paysagiste et un urbaniste et ce qu’est un C.A.U.E.
Un architecte, tout le monde se représente ce qu’il fait : il conçoit et dirige la construction d’un bâtiment, d’un ensemble de bâtiments et d’espaces publics.
Un paysagiste élabore les plans d’un jardin, d’un parc, d’un espace public et dirige leur réalisation. Quant à l’urbaniste, il dessine des plans pour prévoir le développement d’une ville ou d’un village, il programme la construction de logements et d’équipements, vérifie la faisabilité financière d’opérations, dirige l’aménagement d’un quartier, consulte les habitants et surtout aide les élus dans leurs décisions …

Ces trois professions sont étroitement intriquées, l’urbaniste en étant le coordinateur. Toutes trois visent à l’organisation réfléchie et responsable de  nos espaces urbains et naturels. Toutes trois demandent à conduire des démarches de projets qui impliquent une multitude d’acteurs : élus, propriétaires fonciers, habitants, promoteurs, services techniques et administratifs, associations…. Chacune résulte cependant d’un cursus de formation bien distinct qui donne plus ou moins de place à l’analyse systémique (beaucoup pour les urbanistes et les paysagistes qui travaillent sur le fonctionnement d’ensembles humains, urbains, naturels… moins sur les architectes qui travaillent sur la conception d’objets).

Un CAUE ou Conseil en Architecture, Urbanisme et Environnement est une association créée à l’initiative de l’État et du Département dans lequel elle est implantée ; il en existe une dans pratiquement chaque département. Les CAUE ont pour vocation la promotion de la qualité architecturale, urbaine et environnementale, ce qui les conduit à exercer quotidiennement les missions suivantes :
–        informer et sensibiliser les citoyens, les agents et élus des collectivités territoriales sur l’urbanisme et le développement durable ;
–     conseiller les particuliers désireux de construire ou de rénover, les collectivités locales sur leurs projets d’urbanisme, d’architecture ou d’environnement  (ils conseillent, mais ne réalisent pas);
–        former les maîtres d’ouvrages publics, les professionnels, architectes, artisans, les enseignants sur les constructions, la réglementation, les économies d’énergie…

Vaste programme que chaque CAUE décline selon la personnalité de son directeur, la composition de son conseil d’administration, les caractéristiques de son département d’implantation, l’actualité législative de l’aménagement … et sa vision de ce qu’est la qualité !

Pourquoi cette formation intéresse-t-elle les CAUE aujourd’hui ? Parce qu’ils sont menacés.

C’est la promotion d’une qualité architecturale qui justifie la création des CAUE en 1977.
« L’architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public… En conséquence(…) des CAUE sont institués » dit l’article 1 de la loi sur l’architecture de 1977.
Les équipes sont par conséquent dirigées par des architectes et composées majoritairement d’architectes.

Depuis les années 1980, la porte d’entrée de la qualité urbaine n’est plus l’architecture. Les exigences environnementales de notre société ont mis en avant l’attention au paysage et à l’environnement (de la promulgation de la loi Paysage en 1993 jusqu’aux  Grenelle I et II de l’Environnement).

Parallèlement, le processus de décentralisation commencé en 1982 se poursuit avec prochainement son acte III qui va notamment redéfinir le partage des compétences des collectivités et s’accompagne de toute une série de réformes qui changent fondamentalement les conditions de faire de l’urbanisme  sans qu’une ingénierie ait été mise en place :
–        L’Etat se désengage et n’offre plus ses services d’accompagnement aux collectivités
–     La fiscalité de l’aménagement a été redéfinie et demande aux élus de réfléchir aux moyens de payer leurs équipements,
–        Les documents de planification et les procédures se complexifient …

Pour caricaturer, avant la décentralisation, l’État dictait et le local appliquait. Désormais les décisions se négocient en permanence entre acteurs publics et/ou acteurs privés. Il ne s’agit donc plus de concevoir « en chambre » mais de se confronter aux visions et intérêts de chacun pour qu’un projet aboutisse. Et c’est … très difficile, ce qui explique les piles de projets et d’études qui restent dans un tiroir. Et c’est très difficile aussi pour les CAUE qui interviennent au nom de leur expertise en matière de qualité  architecturale, urbaine et paysagère.

La demande de conseil, de formation et de sensibilisation a évolué. Et ne pas répondre à ces nouvelles attentes, en ces temps de disette budgétaire … c’est risquer de disparaître (c’est d’ailleurs déjà fait pour certains CAUE).
Les CAUE sont de plus en plus sollicités pour aider les élus dans leurs décisions d’urbanisme, les accompagner dans l’élaboration de projets d’aménagement … ce qui est tout autre chose que le conseil architectural. On passe en effet d’un conseil ponctuel d’expert sur un objet à une aide à la décision tout au long d’une démarche de co-construction qui demande à travailler en contexte collectif, à écouter et intégrer les visions des uns et des autres.

Pourquoi cette formation intéresse-t-elle les CAUE aujourd’hui ? Parce qu’elle les invite à se positionner autrement sur l’échiquier des acteurs de l’aménagement.

Dessiner le schéma de toutes les boucles interactionnelles de la situation dans laquelle ils se trouvent, (le « Qui Demande A Qui Quoi » ai-je appris en juillet dernier) leur permet de regarder la situation dans son ensemble, de poser leur cadre d’intervention avant de « foncer » sur des propositions de solutions ou d’avis.

Associer la question posée (ou le conseil demandé) à qui la demande permet de clarifier les modalités  d’une intervention. Et alors qu’ils cherchaient auparavant à  préciser les solutions (ou aménagements) attendus dès cette question posée, ils cherchent maintenant quelle démarche mettre en place pour les trouver ou les concevoir  et découvrent que « prendre le temps de passer par cette étape fait gagner du temps et de l’efficacité ».

Ensuite travailler avec les visions du monde de chacun « adopter une posture basse » (ce qui est loin d’être évident pour des experts de la qualité architecturale, urbaine et paysagère) « permet d’avancer sur les problématiques et les échanges de façon plus efficace ». Plutôt qu’imposer son regard d’expert sur la densité par exemple, comprendre que chacun a sa vision sur la manière d’habiter et qu’elle est tout aussi respectable que celle de l’architecte permet d’engager le débat, d’enclencher un processus de co-construction d’une expertise.

« L’approche de Palo Alto leur apporte » disent-ils « des clefs pour prendre conscience que la réalité est multiple, que les propos des acteurs avec qui ils travaillent ne sont plus des faits inéluctables et caractéristiques d’une situation, mais qu’ils sont tenus à un moment donné dans un système de relation particulier … ». C’est l’apprentissage de l’analyse du contexte.

Dans les situations rencontrées le modèle ne trouve pas à se dérouler jusqu’à la prescription paradoxale. On repère les boucles interactionnelles, le problème posé et les « acteurs prêts à bouger » et c’est déjà extrêmement aidant pour l’intervenant qui repère sa place et comprend ce qu’une action minimale de sa part peut produire. Dans son conseil, il peut pratiquer le recadrage pour changer les regards de tous les protagonistes sur une situation, utiliser des techniques de freinage pour recadrer là encore ou « impliquer » certains des acteurs.

Cette approche de Palo Alto intéresse les architectes, urbanistes et paysagistes des CAUE parce qu’elle leur demande d’abandonner une posture d’expert parmi les experts pour devenir expert du « non savoir, non vouloir, non pouvoir » et je finirai par une citation d’un des stagiaires : « On pense ne pas avoir de prise sur les grandes orientations d’aménagement, tellement c’est complexe, et puis bouger de petites choses par une action collective bien conduite montre finalement qu’on n’a pas besoin d’être gros pour agir ».

© Sabine Roumet Guitel/Paradoxes

Pour citer cet article : Sabine Roumet Guitel. L’approche de Palo Alto, à la ville, à la campagne : Pourquoi des architectes urbanistes et paysagistes s’y intéressent-ils ?
www.paradoxes.asso.fr/2013/10/l’approche-de-palo-alto-a-la-ville-a-la-campagne-pourquoi-des-architectes-urbanistes-et-paysagistes-s’y-interessent-ils

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