Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la XIVème journée de Rencontre de Paradoxes, le 17 octobre 2015
Isabelle LAMBION, psychologue.

Cela fait quinze ans que non satisfaite d’avoir à régler certains problèmes personnels, je m’amuse à me mêler de ceux des autres dans l’espoir de les aider à y trouver des solutions.
Je propose de faire le bilan d’une aventure humaine bousculante mais passionnante.
Il sera question, en particulier, de ma conjugaison d’une pratique de psychothérapeute en libéral avec deux autres activités professionnelles, à savoir l’enseignement de la psychologie dans une école supérieure et un travail de psychologue et psychothérapeute en maison médicale.
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Bonjour.
Je tiens à remercier Irène et Chantal de me donner l’occasion de m’adresser aujourd’hui à un public particulièrement choisi. C’est pour moi un honneur et un plaisir  de prendre la parole en ces lieux que je fréquente depuis bon nombre d’années en qualité de fervente spectatrice et auditrice.
Je vais donc tâcher de vous parler de mon expérience professionnelle de ces quinze dernières années en espérant que ce témoignage véhiculera mon enthousiasme pour ce modèle qui m’a permis d’oser proposer mon aide à ceux et celles qui se débattent dans leurs problèmes. Je suis en effet psychologue  et la majeure partie de mon activité professionnelle est consacrée à la  psychothérapie.
Il y a bientôt sept ans que je suis également professeur dans une Haute Ecole et depuis trois ans, je fais partie de l’équipe d’une maison médicale de la localité où je réside, je veux parler d’ «Hawaï en Belgique », qui se situe en fait à une trentaine de kms de Liège, bien connue pour son IGB, entre autres… !
Je voudrais évoquer aujourd’hui ces différentes facettes de mon activité professionnelle afin de répondre au souhait d’Irène qui me proposait de vous dire comment je travaille, tout simplement. Je vais suivre la chronologie et commencerai donc par mon activité de psychothérapeute que j’exerce en cabinet privé depuis quinze ans.

J’ai choisi de vous faire part de ce qui, à mes yeux, marche bien avec mes patients et ce qui me réussit moins bien. Vous y retrouverez bien sûr des composantes du modèle et peut-être quelques autres ingrédients mais c’est la manière dont je les utilise que je souhaite aussi expliciter.

Tout d’abord il y a le premier contact avec le patient. J’ai pris l’habitude de commencer par me présenter. Je propose de leur expliquer comment (moi) je travaille (les grands principes du modèle) : recherche du problème, tentatives de solution, nouvelles pistes, éventuellement sous forme de tâches, à expérimenter. J’insiste d’emblée sur l’idée d’une collaboration indispensable. Je précise que je ne reste pas muette, que je pose pas mal de questions pour pouvoir bien me représenter leur difficulté. Souvent ils font « oui oui» de la tête et certains me disent clairement que ça leur convient tout à fait, qu’ils sont soulagés  car ils n’ont pas envie de se retrouver devant quelqu’un qui écoute sans rien dire. Le fait de prendre la parole la première leur permet de baisser la garde,  de se détendre. Cela jette directement un pont comme dirait Karin S.!
Car pour ma part, je trouve indispensable que le patient se sente à l’aise, en confiance vis-à-vis de moi. Je me montre également attentive à leur confort. Je propose un peu d’air ou un peu plus de chauffage, un verre d’eau ou même un café aux plus matinaux. Je suis souriante mais je sais prendre un air grave lorsque la gravité des propos l’impose. J’essaie le plus souvent d’être en accord avec leur posture : relax, calée au fond de mon fauteuil avec ceux qui s’installent confortablement, plus raide et au bord du siège avec ceux qui serrent les fesses, quitte à m’installer plus confortablement après quelques minutes pour les inviter à en faire autant. Bref, sans être une spécialiste du « non verbal », j’y prête une certaine attention.
C’est cette attention soutenue au propos et à la posture du patient qui constitue mon principal outil de travail, qui me permet aussi de percevoir chez une personne qui m’apparaîtrait peu sympathique de prime abord, cela arrive, le « quelque chose » qui me la rend plus « touchante » et me permet d’envisager de pouvoir plus facilement travailler avec elle.

– Dans  « ce qui marche »  et que j’utilise autant que faire se peut,  il y a la métaphore. Certaines métaphores résument le problème d’une manière qui soulage véritablement le patient. On sort du flou.
La métaphore peut être aussi recadrante. Je me souviens d’une jeune femme qui se plaignait de se sentir « lâchée par son mari et ses enfants ». En fait, elle faisait preuve d’un tel activisme dans son quotidien qu’ils avaient du mal à la suivre »,  c’est du moins ce qu’il me semblait. Pour vérifier cette hypothèse, je lui ai vendu cette métaphore construite à partir de son terme « lâchée » : « N’est-ce pas vous qui les lâchez en fait, un peu comme ce coureur cycliste qui fait une échappée, mettant de la distance entre lui et le peloton ? ». Cela lui a parlé, elle a considéré le problème sous un autre angle et décidé de ralentir son allure…
Mais comme l’a souvent dit Irène, les meilleures métaphores sont celles que nous livre le patient lui-même. Je veille dès lors à ne pas rater l’occasion de les exploiter. En le questionnant plus avant à partir de sa métaphore. Il m’arrive même de proposer au patient de dessiner son problème, ensuite de dessiner son problème résolu et enfin de dessiner ce qu’il faudrait pour passer du dessin n°1 au dessin n°2, une « technique »  apprise en formation il y a pas mal d’années.
Certains patients sont des spécialistes de la métaphore. Comme cette petite dame qui faisait preuve d’une imagination débordante pour se raconter en images. Chaque événement relaté était ensuite résumé par une métaphore qu’elle décrivait de manière très minutieuse. Comme il s’avère qu’elle était artiste peintre à ses heures, je ne manquai pas de lui faire remarquer que son talent débordait de ses toiles et rendait son discours bien attrayant. Cela eut un effet  de recadrage assez positif concernant son image d’elle-même. Elle était en effet dans une phase de doute et de perte de confiance en elle suite à un braquage récent sur son lieu de travail.

En parlant de recadrage, quel bonheur on éprouve parfois à sortir la phrase ou la question « magique » ! J’ai le souvenir de cette femme qui venait me voir parce que tout le monde lui disait qu’elle était instable et qu’elle devrait peut-être consulter un psy. Pour me prouver son instabilité (présumée), elle avait apporté le récit de sa vie en deux gros tomes dont je me demandais si j’allais avoir le temps de les lire autrement qu’en diagonale. Par chance, j’aime les histoires (sans doute est-ce en partie pour cela que je ne me lasse pas de mon métier), particulièrement les biographies et il s’avère que la sienne était passionnante.  Quelle vie !  Rien ne lui faisait peur. Elle excellait notamment dans la sphère sentimentale à faire et défaire des unions de toutes sortes. Sa vie professionnelle était bien panachée elle aussi. Au final, je trouvais qu’il y avait effectivement beaucoup de mouvements, de ruptures et de nouveaux départs. Mais tout cela relevait selon moi, comme je le lui dis en lui remettant les précieux manuscrits avec mon plus beau sourire, d’une remarquable stabilité dans son instabilité. Son regard inquiet dans l’attente du verdict s’illumina sur le coup et un grand sourire répondit au  mien. Son soulagement était palpable. Elle allait pouvoir continuer sa course folle et saurait quoi répondre aux médisants et aux inquiets. Elle revint quelques fois pour me narrer ses derniers exploits et projets. Elle allait de l’avant sans bien savoir ce qui l’attendait mais c’était sa façon de vivre et elle ne s’en plaignait pas. Tout autre qu’elle aurait considéré certains dénouements comme une déconvenue à tout le moins ou ce que l’on  appelle une leçon mais pour elle c’était juste une occasion de repartir dans une autre direction. Ce genre de patient vous procure quelques frissons mais leur énergie a quelque chose de contagieux. Quelle célébration de la vie ! Ce sont des rencontres inoubliables.

Enfin et peut-être aurais-je du commencer par là, je voudrais dire un mot d’une technique chère à Irène et à Chantal, en témoignent les ateliers, je veux parler de la technique de l’explorateur (ou anthropologue).
Je dis que j’aurais du commencer par elle car après m’être présentée et avoir demandé ensuite au patient ce qui motivait sa présence chez moi, l’exploration commence. Je questionne encore et encore, d’autant que j’ai pris la précaution de lui signaler que je poserai des questions pour pouvoir bien me représenter en quoi consistent ses difficultés.Tant que je n’ai pas une vision nette des images qui viennent se coller aux paroles du conteur ou de la conteuse, je continue à explorer. Et c’est très efficace. Je veux dire par là que mon inspiration vient le plus souvent à partir de ces images.

– Je voudrais dire aussi un mot de l’hypnose à laquelle je me suis formée quelque temps avec Irène. Je l’utilise elle aussi mais plus rarement de but en blanc pendant toute une séance. C’est plutôt par petites touches, lorsque j’exploite une métaphore par exemple. Il suffit d’adapter mon langage, le ton, le débit surtout pour instaurer une transe légère, des conditions propices à l’exploitation des ressources du patient.

A contrario de ces techniques qui, dans mon expérience, marchent bien et que j’utilise abondamment, qu’est-ce qui, dans mon cas, ne marche pas ?

– Je dirais tout d’abord : penser à la grille en écoutant le patient. Je l’ai fait  bien sûr, à mes tout débuts.  Je me mettais la pression, comme on dit souvent, du style : Ai-je bien  le problème ? Zut, il est là ou il est là ? C’est pas vrai, voilà qu’il vient encore avec autre chose !… Et ses tentatives de solution, c’est quoi le thème au fond ? Il part tellement dans tous les sens !…  Hou la la, la séance va se terminer et je n’ai aucune idée d’une tâche !… Mince, j’ai oublié de lui demander ce qu’il attendait de moi, c’est un comble ! Ou encore : Aïe aïe aïe, je viens d’aller dans ses tentatives de solution ; il vient de me dire que tout le monde lui conseillait ça ! C’est malin,  au lieu de lui avoir préalablement posé la question de ce qu’en pense son  entourage !…
Pour éviter cela, ma technique consiste à mettre mon casque d’exploratrice et à bien bien écouter et observer en laissant de côté ma carte topographique. Car en terrain inconnu, si on a le nez sur la carte, on risque de ne pas voir les pièges sous ses pieds et aussi de rater ce qu’on est en train de chercher.
Je me dis donc : explorons, questionnons, il en sortira toujours bien quelque chose, ma naïveté me récompensera, la pièce va tomber à un moment ou à un autre, peut-être seulement à la prochaine séance mais tant pis ! Je suis sûre que je vais finir par y voir plus clair. No stress ! Et c’est parfois d’ailleurs, en fin de séance que changeant de ton, petit sourire en coin, un peu gêné tout de même, le patient me susurre : « Mais en fait je ne vous ai pas tout dit, il faudra que je vous en parle la prochaine fois ! » Soulagement de ma part.  « Pas  pour rien que j’avais un peu de mal à décoder, il me cachait quelque chose ! Je le sentais. C’est la pièce maîtresse du puzzle qui manque !

– Autre chose qui ne marche pas trop pour moi : les tâches osées, culottées « à la Nardone ». J’en donne très peu, je ne suis pas à l’aise avec cela. D’ailleurs je constate qu’insidieusement, au  contact de l’Ecole du Paradoxe sans doute, je donne de moins en moins de tâches. Je m’en aperçois souvent au contact du groupe d’intervision de l’IGB, que je fréquente depuis plusieurs années. Les autres personnes de ce groupe proposent systématiquement une tâche à la fin d’une séance, ce qui n’est pas nécessairement mon cas. Par contre, il m’arrive d’insister auprès du patient sur l’importance d’accomplir rapidement, idéalement pour la séance suivante, une tâche du style : « prendre des renseignements sur ce qui serait possible si vous vous décidiez, on ne sait jamais, à… » parce-que si on manque d’information pour avancer, on en sera toujours au même stade la fois prochaine.

Je voudrais, en deuxième lieu, vous parler de mon travail de professeur et surtout de l’influence qu’exerce cette fonction sur mon travail de psychothérapeute et réciproquement.

Cela va faire sept ans que je suis maître assistant à temps partiel. J’enseigne la psychologie générale, la psychologie du développement et la psychopathologie à de futurs orthophonistes et kinésithérapeutes. Je ne vous cache pas que ma principale motivation au départ de ce job supplémentaire était une certaine sécurité financière qu’il me procurerait. Pour vous planter le décor, lors de mon entretien d’embauche, le directeur de la HEPL (Haute Ecole de la Province de Liège) m’a demandé ce que signifiait  « formation en hypnose » mentionnée sur mon curriculum vitae. Il a souri à ma réponse et précisé qu’il allait falloir revenir à ce que m’avaient enseigné mes professeurs à l’Université… Vous comprenez où je veux en venir. Je fus donc amenée à réapprendre  ce que j’avais désappris (sans grand regret). Fastidieux, ennuyeux ! Mais au final, c’était l’occasion de repenser à l’originalité du modèle, dans l’histoire de la psychologie, et de vérifier qu’il me parlait toujours autant et surtout davantage que d’autres modèles issus d’autres approches.
Réciproquement, mon travail de psychothérapeute me permet d’illustrer par des exemples de situations vécues avec mes patients, certains traits ou comportements humains évoqués dans le cours. J’ai aussi décidé de consacrer deux séances de cours à un chapitre que j’ai ajouté au programme. Il s’intitule « la relation d’aide ». J’y propose un « modèle de premier contact avec le patient » inspiré du modèle de l’approche de Palo Alto. Les étudiants sont pour la plupart ravis d’avoir un fil conducteur pour mener un entretien. Cela leur permet d’envisager leur stage et même la rencontre avec leurs propres patients plus tard avec moins d’appréhension. Cette fonction de professeur et les recherches théoriques que cela supposait m’ont permis de prendre encore davantage conscience de l’intérêt que représente pour moi mon travail de psychothérapeute. Il s’agit d’un moment de récréation, je dirais même plus, un moment de recréation.

Il y a trois ans, une autre opportunité de travailler hors de chez moi s’est présentée sous forme d’une invitation par les médecins de la maison médicale d’Aywaille, de rejoindre leur équipe. Ce que j’ai accepté avec un certain enthousiasme. L’essentiel de mon travail là-bas concerne la prise en charge de patients, comme à mon cabinet, à la différence que la plupart me sont envoyés par leur médecin. Donc ils ne sont pas nécessairement clients de prime abord. Mais ce n’est pas cela qui me pose difficulté. Il s’agirait plutôt des réunions d’équipe où je suis interpelée par la manière dont les cas difficiles sont analysés.
Souvent les médecins généralistes et les infirmiers se plaignent de ce que, malgré leurs bons soins et leur bonne volonté, certains patients se montrent peu ou pas du tout collaborants,  voire même saboteurs. Ils sont mal avec cela. Avec ma lecture Palo Altienne,  je présume qu’il s’agit dans pas mal de cas d’erreurs de tir étant donné qu’aucun problème de patient n’est défini au départ en terme de difficulté pour lui, difficulté en raison de laquelle il demande de l’aide. J’ai bien tenté de former mes collègues à la grille comme on fait une offre de service mais je n’ai pas affaire à de vrais clients moi non plus…

J’imagine qu’à travers ce constat, je rejoins l’expérience de certains d’entre vous qui travaillez avec des collègues impliqués dans la relation d’aide mais non formés au modèle. On ne change pas une équipe qui gagne ni même une équipe qui s’accommode de ses échecs.
Il s’avère aussi que la plupart des médecins sont des travailleurs individualistes (je le savais pourtant car je les ai pas mal fréquentés dans une autre tranche de ma  vie professionnelle) et ce, même lorsqu’ils exercent au sein d’une équipe. Ils le reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes.

En conclusion, vous aurez compris que pour moi, le travail de psychothérapeute  est un must et que le modèle utilisé y est pour beaucoup. Par ailleurs, certains s’étonnent peut-être de ce cumul de fonctions de ma part. Je répondrais tout simplement : « Il faut bien vivre ! ». Mais j’essaie aussi de donner un autre sens à la coexistence dans mon quotidien de ces différents contextes de travail. Je tente de découvrir de nouvelles manières de mieux me plaire dans ma vie professionnelle, on y passe tant d’heures ! Et  puis c’est de cette façon qu’on travaille le mieux.

Comme vous l’aurez sans doute perçu, je ne perds jamais le modèle de vue, j’essaie de le faire germer là où il n’existe pas. Et je suis à peu près convaincue que quelques graines arriveront à maturité, un jour. C’est déjà  cela, non ?

Je vous remercie pour votre attention.

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© Isabelle LAMBION/Paradoxes
Pour citer cet article :  Isabelle LAMBION,  « 15 ans de problèmes … et j’en veux encore! » 2015. www.paradoxes.asso.fr/2015/10/«-15-ans-de-problemes-…-et-j’en-veux-encore-»

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