Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la XIVème Journée de Rencontre de  Paradoxe, 17 octobre 2015
Olivier Gaudichau, Expert Lean & Coach Palo Alto

Résumé : Lean et approche de Palo Alto évoluent dans deux univers quasi parallèles et ne se rencontrent pas dans les organisations. Pourtant, dès que l’on a posé correctement ce qu’est le Lean, sort un thème fondamental d’action en commun autour de la Résolution de problème, champ que revendiquent le Lean et l’approche de Palo Alto. Ce sont des problèmes un peu différents, pris à des niveaux un peu différents mais qui s’enrichissent de cette réflexion croisée. Et si le Lean, regardé avec les yeux de Palo Alto, était une vision du monde particulière par son efficacité et sa capacité à transformer la vision du monde de ceux qui le pratiquent ? Au final, l’un et l’autre peuvent s’accorder sur un objectif : celui d’augmenter le champ des possibles dans leurs interventions respectives. Et au quotidien ? Si le coaching tente parfois de s’adjoindre au Lean pour le changement des hommes et des processus, l’approche de  Palo Alto est celle qui pourrait s’allier le mieux en posant un regard systémique sur les problèmes et en travaillant le plus en amont possible à préserver ou accroître, pour les acteurs, la marge de manœuvre qui rend possible la transformation.

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C’est un bien étrange énoncé que de poser les choses comme cela : « L’Intervention Systémique Paradoxale dans le contexte du Lean ». Lean et approche de Palo Alto sont deux univers qui ne se rencontrent pas dans les organisations. Cela tient à leur nature même. Le Lean, c’est porté par des compétences techniques (ou hard skills). On travaille sur de la matière opérationnelle. Ce sont des interventions en direct, sur le terrain, là où les gens travaillent, là où la richesse est produite. Le Lean enfin, c’est la primauté accordée aux faits et aux données, ce que l’on pourrait appeler la réalité de 1er ordre. A l’opposé, presque trait pour trait, le coaching selon l’approche de Palo Alto, vise les compétences comportementales (ou soft skills). L’intervention de coaching est indirecte, dans le face à face avec le coaché, hors de son environnement. Et l’approche de Palo Alto va regarder les comportements et les idées sur les faits, ce que l’on pourrait appeler la réalité de 2e ordre.  Plus que cela, le Lean a une intention très claire : changer, apprendre, progresser. Alors que dans l’approche de Palo Alto, il ne s’agit même pas d’accompagner le changement tant le coach n’a pas d’intention pour son client.

Avant d’aller plus loin, il nous semble important de définir le terme Lean. Nous prendrons comme postulat que le lecteur est un tant soit peu familier avec le coaching selon l’approche de Palo Alto et n’approfondirons pas la définition. Donc, qu’est-ce que le Lean ? Tout d’abord, partons de ce que les uns et les autres en pensent généralement, une forme de ‘connaissance ordinaire’. Le Lean, c’est un mot anglais qui veut dire ‘mince’, ‘maigre’. D’ailleurs aux Etats-Unis, la ‘lean meat’ est une viande sans gras, que du muscle. Dans les organisations, Lean a pu devenir le synonyme de ‘Faire plus avec moins’ voire, en reprenant les quatre lettres LEAN ‘Less Employees Are Needed’ (nous avons besoin de moins d’employés). Le Lean est généralement associé à Toyota (qui est à l’origine de cette pratique), à l’industrie automobile ou au moins au monde des usines. Et enfin, le Lean, quand on côtoie ses praticiens, c’est souvent un jargon autour de techniques et d’outils tels que le PDCA, 5S, Management visuel, MIFA VSM, Standards … (toutes très bien décrites sur Internet). Mais plus précisément, selon les experts, le terme Lean c’est d’abord une traduction malheureuse car réductrice du terme Toyota Production System pour l’anonymiser. Malheureuse car elle en fait perdre l’essence : c’est un système. C’est un système qui vise à doter toute organisation de quatre capacités :

1- Apprendre à voir et faire émerger les problèmes,
2- Résoudre durablement ces problèmes,
3- Capitaliser sur les solutions et modes de résolutions et
4- Développer toute la ligne hiérarchique, de l’employé au PDG (et l’inverse), sur les capacités 1-2-3 (d’après Jeffrey Liker).
Les trois premières capacités relèvent de l’amélioration continue et la quatrième du développement des talents.
Ce qui est frappant à ce stade, c’est une revendication commune entre l’approche de Palo Alto et le Lean qui pourrait être ‘Nous aussi, nous faisons de la résolution de problèmes’. Regardons de plus près ce qu’est un problème pour les uns et pour les autres.
Pour le Lean, un problème, c’est un écart. Un écart entre la situation actuelle et une situation visée ou idéale. Le Lean crée une tension vers la perfection et comme le disait Taichii Ohno, l’un de ses pères fondateurs, « personne n’a de plus grand problème que celui qui dit ne pas avoir de problèmes ».
Vu de Palo Alto, cette définition laisse dubitatif car cela semble bien mêler problème et objectif. Pour Palo Alto, une définition d’un problème pourrait être un comportement insatisfaisant au sein d’une boucle interactionnelle (entre deux personnes ou la même personne) qui, du coup, ne reçoit pas la réponse souhaitée. Tout cela relève de la vision du monde de la personne concernée et l’approche de Palo Alto va veiller à ne pas trouver de problèmes là où il n’y en a pas. Bref, pas la même vision des choses, pas les mêmes problèmes.

Pour aller plus loin, nous pouvons regarder comment le LEAN traite un problème et le faire avec les yeux de ceux qui pratiquent l’approche de Palo Alto. Une démarche de résolution de problème usuelle dans le Lean est celle en 8 étapes : 1- Clarifier le problème, 2- Décomposer le problème, 3- Définir la cible, 4- Analyser les causes sources, 5- Développer des contremesures, 6- Mettre en place ces contremesures, 7- Evaluer les résultats et les processus, 8- Standardiser le succès.

Avec le regard Palo Alto, nous voyons que l’étape 1 –Clarifier le problème – est tout à fait alignée car on pose bien le problème avant l’objectif. Concernant l’étape 2 – Décomposer le problème, on y voit une exploration de celui-ci et aussi un freinage vers la solution. Pour l’étape 3 – Définir la cible, cela s’apparente à une réduction de l’objectif voire à la notion d’objectif minimal. Sur l’étape 4 – Analyser la cause source, nous sommes en désaccord. Le Lean croit dur comme fer à l’existence de ces causes sources, ce qui n’a pas de sens pour Palo Alto qui se revendique d’une approche systémique (et non déterministe). Concernant l’étape 5- Développer des contremesures, nous retrouvons pourtant en creux notre vision systémique car le Lean parle de contremesures et non de solutions, bien conscient que toute action a des conséquences et peut générer d’autres problèmes. Pour l’étape 6- Mettre en place les contremesures, l’approche de Palo Alto verra quelqu’un qui n’est pas au bout de ses tentatives de solution et c’est ok. Et enfin pour l’étape 7- Evaluer les résultats et les processus, il s’agit bien de recadrages qui permettent d’ajuster sa vision du monde.

Intéressons-nous maintenant  à l’endroit où s’exercent le Lean et l’approche de Palo Alto. L’approche de Palo Alto cherche à identifier le système pertinent pour une intervention minimaliste. C’est donc un regard sur les acteurs et leurs comportements en premier. De façon très différente, le Lean cherche à optimiser le flux de valeur selon la vision client (et donc à éliminer les problèmes associés). C’est l’axe de travail qui privilégie les processus avant le système, ce qui a souvent comme conséquence d’occulter des parties prenantes et peut conduire à une amélioration qui n’est pas durable. Et pourtant, si l’on revient aux sources, cette vision systémique qui semblait manquer existe bel et bien. Elle prend la forme de ce que les Japonais appelle Nemawashi (littéralement : creuser une tranchée autour des racines de l’arbre), c’est-à-dire l’action de rencontrer informellement toutes les parties prenantes pour préparer un changement. Une vision systémique … exhaustive !

Vu de Palo Alto et ses prémisses constructivistes, le Lean est une vision du monde. Elle n’est pas plus vraie qu’une autre et cela rejoint ce que disait Taïchi Ohno « La moitié de ce que nous tenons pour vrai est faux ». La force du Lean, c’est que c’est une vision du monde qui porte en elle sa propre transformation. Et cela se produit via le PDCA (Plan-Do-Check-Act ou roue de Deming) et c’est ce qui fait dire aux praticiens du Lean que, quel que soit le sujet, celui qui pratique le PDCA ne peut pas se tromper. C’est aussi, et nous nous référons à nouveau à la 4ème capacité, le meilleur moyen de développer les personnes. Tout cela produit de la transformation de la vision du monde jusqu’à « penser à l’envers », qui, à l’inverse du bon sens (ou plus exactement du sens commun), nous amène à exprimer des problèmes avant d’exprimer des objectifs, à préférer échouer en respectant le processus que réussir sans le respecter car au moins on apprend quelque chose d’utile pour la suite, à vouloir fonctionner à la vitesse de la tortue et non le plus vite possible simplement pour pouvoir gérer les aléas inévitables, même à recommander d’enfiler des vêtements blancs pour bricoler pour bien voir d’où viennent les salissures et les éliminer plutôt que de les masquer.

Tant de différences entre le Lean qui vise l’amélioration continue et le développement des personnes et Palo Alto, avec une approche systémique et l’arrêt des tentatives de solution. Et pourtant, un objectif semble partageable. Indéniablement, celui d’augmenter le champ des possibles, de donner de la marge de manœuvre. Le Lean le met au service de la perfection dans la satisfaction des attentes des clients alors que l’approche de Palo Alto le rend au client pour qu’il en fasse ce qu’il souhaite.

Qu’en est-il de tout cela dans une pratique Lean au quotidien qui serait baignée de l’approche de Palo Alto ? Tout d’abord c’est parti d’une évidence de plus en plus affirmée sur le rôle du coaching comme élément du Lean, bien au-delà des outils ‘techniques’ que l’on voit immédiatement. C’est une complémentarité qui vise tant à optimiser un processus/flux qu’à développer les personnes qui le vivent. Mais cela pourrait être l’apanage de beaucoup de démarches de coaching. Alors pourquoi l’approche de Palo Alto ? En explicitant ses prémisses constructiviste et systémique l’approche de Palo Alto permet un « ailleurs de la pensée » (pour reprendre un terme de François Jullien), de penser « out of the box » ou « in new boxes» comme disent les Américains c’est-à-dire de revisiter ses propres croyances en les regardant d’autre part. C’est ce qui a été mis en évidence dans les paragraphes précédents. Plus encore, l’approche de Palo Alto peut s’intégrer complètement au Lean, en travaillant le plus en amont possible de toute demande, en regardant les interactions et les visions du monde, pour mieux agir sur le système. Mais ces sujets restent à discuter plus avant.
En conclusion, retenons tout cela comme des regards croisés, qui méritent d’être approfondis dans la complémentarité et qui, en l’état, ne prétendent pas être plus vrais qu’autre chose.

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© Olivier  GAUDICHAU/Paradoxes
Pour citer cet article :  Olivier Gaudichau, L’Intervention Systémique Paradoxale dans le contexte du Lean (amélioration continue) 2015. www.paradoxes.asso.fr/2015/10/l’intervention-systemique-paradoxale-dans-le-contexte-du-lean-amelioration-continue

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